Soeur Marie-Madeleine aimait beaucoup Saint-Bernard, sa solitude, la pauvreté de la cabane qui servait d'oratoire. Elle allait fréquemment y passer une journée en « retraite ». Fin de l'année 1846, à une soeur de Toulouse, elle écrit « À Saint-Bernard, persévérance héroïque dans cette vie si pénible à la nature, et même le nombre des Bernardines augmente. Oh ! comme ces pauvres filles me font du bien, ainsi que la mère lorsque je vais y faire ma retraite ! Vraiment il y a là, ma chère soeur, beaucoup de grâces. Pauvres Bernardines ! elles sont dignes de pitié pendant ce grand froid. Lorsque vous voyez tomber la neige, pensez, chère soeur, qu'elles sont, dans cette pauvre cabane de paille, mouillées jusqu'aux os et prenant leur repas en plein air. Dernièrement je sortais de la cabane pour revenir à Notre-Dame ; c'était par une matinée bien froide ; je les rencontrai la pioche à la main, pouvant à peine la tenir, et néanmoins travaillant de toutes leurs forces. Cette vue me fit du bien. »
L'orphelinat du Grand-Paradis continuait une vie plutôt prospère. En 1846, il y avait sept entrées nouvelles, et, dans le même temps, plusieurs jeunes filles en sortaient ayant trouvé une place dans des familles de Bayonne ou d'ailleurs". Entrées et sorties s'équilibraient à peu près : l'orphelinat comptait 25 pensionnaires à la fin de l'année 1846. À Notre-Dame, le nombre des entrées était beaucoup plus élevé. Il fallait de nouvelles ressources. Aussi, à côté des autres activités qui se maintenaient à Anglet, les Servantes de Marie, à partir de novembre 1846, tinrent une « table à la halle », c'est-à-dire un étal au marché couvert de Bayonne. Elles y vendaient « des chapelets, des tapis, des porte-montres, des bas, des mitaines, des biscuits, des cordons, des scapulaires, etc., et autres petites choses confectionnées à Notre-Dame. (à suivre…)
Les repenties passaient la journée à travailler dans la solitude, au milieu des sables. Avec lyrisme et avec une vue surnaturelle des choses, l'abbé Cestac écrira : « En effet dans cet immense désert où nul bruit, nulle voix au monde ne se faisait entendre, dans ce silence solennel qui n'était interrompu que par le grondement des flots de l'océan qui le rendait plus imposant encore, la voix de Dieu parla puissamment à toutes ces âmes. Elles se sentirent puissamment saisies et attirées vers Dieu, mais vers Dieu seul. (…)Le 19 août, Soeur Marie-Madeleine alla « au sable » les visiter : « Il y a deux jours, j'ai été les voir, écrit-elle dans une lettre, et je vous assure que j'ai senti la présence de Dieu dans cette solitude. Elles vivent dans un silence perpétuel ; la mère des pénitentes est avec elle.
Soeur Marie-François de Paule passa désormais ses journées « au sable », avec celles qu'on surnommait, à cette époque, les « Trappistes ». Soeur Marie-François de Sales dirigeait alors la maison du Refuge.
Le 27 août, Arnaud Larrieu mourut. Il avait fait rédiger, devant notaire, un testament où il faisait de l'abbé Cestac l'héritier de ses pauvres biens : la petite maison dans les dunes (une « cabane au toit de paille ») et les terres attenantes.La chaumière de Larrieu fut transformée en oratoire. Quelques cellules de paille furent construites. L'ensemble fut appelé Saint-Bernard et les pénitentes qui passaient la journée « au sable » furent appelées dès lors « Bernardines », sans que, à cette date, des règles soient définitivement fixées.
(à suivre)
Certaines des pénitentes du Refuge aspiraient à une vie plus mortifiée et isolée. Elles voulaient s'engager dans une voie spirituelle marquée par le travail, par la prière et la contemplation. L'abbé Cestac dira : « Jamais je n'ai mieux compris le dogme sacré de l'expiation qu'en voyant ces femmes, pour la plupart vulgaires et fort jeunes, poussées par un besoin, à la fois surnaturel et instinctif, de souffrir pour se laver et se régénérer. (…) Bien souvent elles venaient pleurer à mes pieds, rappelant leur chute, et me priant, au nom de Dieu, de leur enseigner un moyen de faire davantage pour en effacer les souillures. » Un événement a permis de réaliser les aspirations spirituelles de ces repenties.
Un soir, vers la fin de 1845, des bouviers qui avaient passé la journée dans les landes, au nord du Refuge, vinrent avertir qu'ils avaient entendu des plaintes s'échapper d'une pauvre chaumière isolée au milieu des sables, au-delà du terrain qu'avait acheté Cestac. Ils y avaient trouvé un vieillard, Arnaud Larrieu, alité, malade, en proie à une forte fièvre. Ils étaient venus au Refuge prévenir les religieuses. L'abbé Cestac était présent. Il connaissait l'endroit, situé à environ un kilomètre du Refuge. Il se rendit aussitôt sur les lieux avec deux soeurs, apportant quelques secours et de l'eau. Ils réconfortèrent le vieillard. Chaque jour ensuite, des religieuses vinrent le soigner.
Puis, au bout de quelque temps, le vieil homme demanda à être accueilli à Notre-Dame. Larrieu y poursuivit sa convalescence. En mai 1846, l'abbé Cestac envoya Soeur Marie-François de Paule et quelques repenties prendre soin des quelques ares de terre que possédait Larrieu et où il cultivait des asperges, des petits pois et du tabac. (à suivre)
Le 5 janvier 1845, il écrit à sa soeur : « Notre sainte Maîtresse, cette Vierge de toute miséricorde, veut établir, dans sa maison de Notre-Dame-du-Refuge, un asile pour quelques misérables délaissés et repoussés de tous, comme des lépreux et autres, atteints de ces maladies qui font horreur à la nature, mais qui sont une source de précieux mérite pour le ciel. » C'est un 5 janvier qu'il a eu cette idée et qu'il a eu l'intuition de dédier cette oeuvre nouvelle à saint Siméon Stylite. Pourquoi saint Siméon Stylite ? Parce qu'il a eu « des plaies horribles »…Quand le lendemain, il relut la vie de saint Siméon, il se rendit compte que sa fête était justement le 5 janvier. Cette coïncidence lui parut un signe de plus qu'il fallait « s' occuper au plus tôt de cette oeuvre ». Mais le projet, finalement, ne sera pas engagé.
Au Refuge de Notre-Dame, les repenties s'étaient vouées au travail agricole et à une vie retirée du monde. Au nord du domaine acheté par l'abbé Cestac, s'étendait une vaste zone de sable et de dunes, d'une superficie de 15 hectares, qui était la propriété de la commune d'Anglet. L'abbé Cestac en fit l'acquisition pour une somme relativement modique (400 et quelques francs). Mais aux yeux de beaucoup, ces sables et ces dunes, impropres à l'agriculture, ne les valaient même pas. « Cette acquisition fit rire tout le monde, comme d'une folie, reconnaîtra l'abbé Cestac. Et en effet, moi-même je ne m'explique pas cet achat. »Voulait-il préserver la solitude de Notre-Dame de Refuge et prémunir la communauté contre des constructions trop rapprochées ? En tout cas, cet achat va s'avérer bientôt providentiel.
(à suivre…)
L’abbé Cestac devait accepter que son apostolat rencontre des échecs, que des « repenties » ne puissent accepter les contraintes du Refuge, que la liberté l'emporte sur la grâce.
Quelques années plus tard, à propos d'une autre pénitente, originaire de Toulouse, et qui finalement y est retournée, il écrit : « Cette pauvre et misérable enfant est à Toulouse comme elle a été à Notre-Dame. Elle est bien partout où elle n'est pas, et mal où elle se trouve, se rendant intolérable aux autres par ses caprices indéfinissables. Vous savez qu'elle est rentrée et sortie plusieurs fois de la maison ; en dernier lieu, en désespoir de cause, pour éloigner le danger et le scandale, je l'avais envoyée à Saint-Bernard, où elle est demeurée quelques jours. J'ai sans doute beaucoup de peine de la voir sur la rue ; mais, après les expériences déjà faites, je ne puis pas exposer la communauté à de nouveaux scandales. [...] Son père est venu m'en parler ; il l'abandonne aussi et ne veut nullement s'en occuper. Oh ! quel malheureux état ! Je n'y pense pas, je vous l'avoue, sans être désolé ; mais que puis-je faire ? J'ai essayé de tous les moyens, aucun n'a réussi.
La communauté en a horriblement souffert ; et malgré moi, malgré mon coeur qui souffre plus que je ne saurais le dire, je dois la laisser entre les mains de la divine miséricorde, qui pourra la sauver par des moyens à elle connus. » Mais les intuitions ou projets que lui inspira sa charité semblent sans limites. (à suivre…)
A l’ouverture de Notre-Dame du Refuge, il y avait 14 Repenties. Cinq ans plus tard elles sont 60. Le nombre ira grandissant : 80 en juillet 1844, 130 en 1846. Il a fallu agrandir les bâtiments d'origine. À partir de 1844, une grande bâtisse, dédiée à Saint-Jean-Baptiste, est construite à 300 mètres de la maison principale. C'est là aussi qu'a été installée la nouvelle buanderie qui doit procurer des revenus supplémentaires au Refuge.
L'abbé Cestac suit de près les travaux, comme en témoigne sa soeur : « Il a passé la semaine dernière, ce bon Père, à Notre-Dame. Si vous l'aviez vu diriger lui-même les travaux qu'occasionne la nouvelle buanderie, construite à la maison Saint-Jean-Baptiste, bâtie à côté de la fontaine ! Il allait et venait avec plus d'activité que les ouvriers eux-mêmes ; et après avoir passé sa journée au milieu de ce tracas d'ouvriers et d'ouvrage, il passait sa soirée et même une partie de la nuit au confessionnal, ne reposait que quelques heures pour recommencer le lendemain le même train de vie ».
Les difficultés néanmoins ne manquaient pas. On ne peut ici faire l'histoire complète du Grand-Paradis et de Notre-Dame du Refuge. Les deux communautés grandissaient. En 1845, par exemple, il y a seulement cinq entrées chez les Orphelines, mais une cinquantaine chez les Repenties. Les soucis et les problèmes à régler ne manquaient pas. (à suivre…)
Quand on reprochait à l'abbé Cestac d'avoir installé les Pénitentes en pleine campagne, dans une propriété sans barrières ni clôture, il avait cette réponse pleine de bon sens qui lui venait de Mère Jeanne-Elisabeth Bichier des Ages, la fondatrice des Filles de la Croix : « Quand les chats sont enfermés, ils cherchent à s'échapper ; toutes fenêtres et portes ouvertes, ils sont calmes et s'endorment. »
On se tromperait en imaginant que les Pénitentes de Notre-Dame du Refuge étaient toujours dociles et toujours disposées à mener une vie communautaire de travail et de prière. Il y avait, bien sûr, des écarts de conduite, des rébel¬lions, des fugues. Dans ces cas-là, la discipline était maintenue sans rigueur excessive. Ce fut une politique constante à Notre Dame.
L'abbé Cestac rappellera un jour à un journal : « À Notre-Dame, jamais on ne frappe, on ne séquestre personne. Chacun est toujours libre de sortir. [...] C'est à peine si, pour les Pénitentes, qui nous viennent de partout, et parmi lesquelles se trouvent des têtes exceptionnelles, qui n'ont pu vivre nulle part, lorsqu'elles viennent à s'écarter de l'ordre, on leur ôte momentanément l'habit de pénitente comme s'étant rendues indignes de le porter ». (à suivre…)
L'abbé Cestac avait coutume de définir Notre-Dame du Refuge comme « un asile de pénitence volontaire ». Tous les mots ont une importance. Un « asile » parce que les filles et les jeunes femmes venaient y chercher un abri, un lieu de sécurité, loin des rues ou des maisons qui avaient fait leur malheur. Ce n'était pas néanmoins un simple lieu d'accueil. Les personnes qui y entraient voulaient se convertir et faire « pénitence » pour leur vie désordonnée passée. Elles venaient en s'engageant à une vie de prière et de travail.
Quand des jeunes filles réussiront à se faire admettre chez les Pénitentes sans avoir été prostituées et simplement pour fuir la misère, ce sera souvent un échec. Soeur Marie-Madeleine le dit, sans ambages, à son frère : « Ces personnes qui ne viennent pas dans le seul but de faire pénitence ne sont que de vrais obstacles au bien, car plusieurs n'étant venues que pour ces motifs de misère et de besoin, donnent depuis longtemps de grandes peines à la communauté. Elles sont sans esprit de pénitence, sans esprit de foi, portant partout l'insolence et le désordre. »
Enfin, l'entrée à Notre-Dame du Refuge devait être entièrement « libre ». L'abbé Cestac y insistait fréquemment. À Notre-Dame, les filles n'entraient que volontairement et pouvaient librement en partir. (à suivre…)
Le train de vie modeste de l'abbé et son dévouement aux oeuvres fondées, n'emportaient pas tous les suffrages.
Le 1er mars 1842, dans La Sentinelle des Pyrénées, journal d'opposition au gouvernement, un bref avis, anonyme, commence une campagne pour dénoncer « l'illégalité » de la congrégation des Servantes de Marie.
Le journal écrivait : « Nous apprenons que le gouvernement vient d'accorder une somme de 300 francs, à titre d'encouragement, à l'établissement dit Notre-Dame de Refuge, sis à Anglet. Le fait paraît officiel et le public ne trouvera pas mauvais que nous en témoignions quelque surprise, car, si nous en croyons des personnes en situation d'être bien informées, le susdit établissement ne serait pas encore autorisé par ordonnance royale, conformément aux prescriptions de la loi du 24 mai 1825. »
L'abbé Cestac ne répondit pas. Mais le 16 mars, le sous-préfet des Basses-Pyrénées demandait à l'abbé Cestac de se mettre en règle avec la loi.
Quelques mois plus tard, le journal renouvelait sa dénonciation. L'abbé Cestac y répondit, par une longue lettre. La congrégation des Servantes de Marie, expliquait-t-il, n'est pas clandestine ni dans l'illégalité, elle est même encouragée (voir la subvention gouvernementale), en attendant la reconnaissance légale.
La lettre de Cestac fut publiée, intégralement, dans le journal, accompagnée d'un commentaire qui déplorait « la persistance de M. l'abbé à demeurer dans l'illégalité ».
Dix ans plus tard la congrégation demandera, et obtiendra, la reconnaissance légale par le gouvernement.
(à suivre…)
L'établissement d'une communauté au Lycée de Toulouse ( janvier 1842) va inciter d'autres institutions à faire appel à l'abbé Cestac. Successivement les Petits Séminaires d'Oloron et de Larressore (1843), le collège d'Hasparren (1845), le Grand Séminaire d'Aire-sur-l'Adour (1846), demanderont aux Servantes de Marie d'assurer l'infirmerie, la lingerie, la sacristie et parfois la cuisine. Une fois ces petites communautés établies, l'abbé Cestac resta en relations régulières avec elles par correspondances ou par des visites. Soeur Marie-Madeleine, (faisant office de superieure) leur envoie des nouvelles du Grand-Paradis et du Refuge, mais aussi des directives ou des rappels sur la vie des petites communautés et leurs relations avec l'extérieur.
À la responsable de Toulouse, elle écrit, avec son ton direct : « Et vous, ma bien chère soeur, où en êtes-vous avec la douceur, vertu que vous désirez tant acquérir ? Vous possédez-vous un peu mieux ? » À une autre soeur, elle donne des conseils d'ordre spirituel, relatifs à un état d'âme qu'elle a bien connu (et qu'elle connaît encore par moments) : « Pour ce qui est de vos sécheresses et même de vos dégoûts dans vos communions et exercices de piété, (…) et vous ajoutez : "Je rencontre partout de la boue qui m'empêche de marcher". Eh ! bien ma soeur, vous en trouverez toujours de la boue, toujours, jusqu'à ce que vous soyez morte, et morte à vous-même. Mais il faut du courage ; oui, ma soeur, beaucoup de courage et de la confiance.»
(à suivre…)
Le 4 février 1842, Soeur Marie-Joseph et deux autres Servantes de Marie partirent au Collège Royal de Toulouse. Elles s'occuperont de la lingerie et de l'infirmerie. C’était un établissement d'État, dont la direction et le corps professoral étaient tous laïcs. Mais la présence de religieuses ne fut pas sans effets. L'archevêque de Toulouse le dira, quelques années plus tard, dans un rapport au pape Grégoire XVI : « Il y a un aumônier, comme dans les autres collèges de ce genre. Un proviseur y avait appelé des religieuses pour prendre soin des malades. Cette circonstance peut être cause du plus grand nombre de pensionnaires qu'on y voit depuis quelques années. »
Le 2 avril 1842, la mère de Cestac quitte sa maison de Bayonne et s'installe à Notre-Dame du Refuge. L'abbé Cestac, lui, ne pouvant quitter Bayonne à cause de ses fonctions de vicaire, loua une chambre non loin de la cathédrale, chez un particulier, Mme Camino. Un laïc, M. Tachon, qui rendait déjà différents services au Grand-Paradis, l'aidait pour les tâches de la vie quotidienne. La modestie du nouveau logement de l'abbé Cestac émut sa soeur. Une pensée me disait : "Dieu l'appelle à un plus grand détachement", c'est la pensée la plus consolante. Dieu le veut saint, et au ciel nous lui verrons plus de gloire. » (à suivre…)
Sans l'avoir envisagé auparavant, l'abbé Cestac et sa communauté allaient s'engager dans une voie nouvelle. En novembre, une pénitente dut aller consulter un médecin à Toulouse. La « mère des pénitentes », Sœur Marie-François de Paule, l'accompagna. Le médecin éminent qui examina la pénitente était aussi chargé du service médical au Collège royal de la ville. Au cours de la conversation, il s'enquit de la communauté d'où venait la sœur et il lui indiqua que le proviseur du Collège, M. Vidal, recherchait des religieuses pour s'occuper de l'infirmerie et de la lingerie de l'établissement. Sœur Marie-François de Paule ne pouvait répondre seule à cette proposition. La décision dépendait de l'abbé Cestac et de l'évêque de Bayonne. Elle alla rendre néanmoins rendre visite au proviseur.
À son retour, elle fit part à l'abbé Cestac de la demande du Lycée de Toulouse. Celui-ci, le 28 novembre 1841, reçut une lettre de M. Vidal, appuyée par Mgr d’Astres archevêque de Toulouse. Ils avaient écrit également à Mgr Lacroix. Avant d'aller rencontrer l'évêque de Bayonne, l'abbé Cestac alla célébrer la messe à la cathédrale, à l'autel de Saint-Joseph, et il se rendit compte que « c'était juste la fête de Saint Saturnin, patron principalement de Toulouse ». Il y vit une heureuse coïncidence. Il se rendit ensuite à l'évêché. Mgr Lacroix l'incita à accepter la proposition de Toulouse.
(à suivre…)
Une fois les Constitutions achevées, l'abbé Cestac alla porter le texte à Mgr Lacroix. Après une huitaine de jours, l'abbé Cestac retourna à l'évêché. Mgr Lacroix fixa le jour où se ferait l'institution canonique de la nouvelle congrégation. Le 4 janvier 1842, l'évêque de Bayonne pouvait écrire à l'archevêque de Toulouse : « Depuis quelques jours, les constitutions et les règles sont approuvées par moi et c'est après-demain que les sœurs doivent faire leurs vœux. Ces vœux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance, sont annuels, et ce n'est qu'au bout de dix ans qu'on leur permet d'en faire de perpétuels. [...] Toutes les Sœurs qui en font partie sont pieuses, ferventes, et donnent de grandes espérances. »
La cérémonie eut lieu le 6 janvier, en la fête de l'Épiphanie, dans la chapelle du Refuge. Mgr Lacroix vint à pied, de Bayonne. L'abbé Cestac : « Le temps était sec, mais très froid. Les chemins, couverts de glace, ne permettaient ni cheval, ni voiture. Monseigneur dut venir pied. La pauvreté était extrême : nous n'avions pas un peu de bois pour faire chauffer Monseigneur ni pour lui donner un peu de lait cuit. Et si l'on put réussir à ramasser quelques broussailles, le soufflet nous manquait pour allumer le feu. Mais cette pauvreté même nous donnait un sujet de joie et de consolation (…) »
Quatorze jeunes filles prirent l'habit des Servantes de Marie et treize d'entre elles prononcèrent leurs premiers vœux, s'engageant à vivre selon les Constitutions approuvées par Mgr Lacroix.
(à suivre)
1840 : les communautés grandissent. Huit nouvelles orphelines sont accueillies au Grand-Paradis. Elles ont toutes 12 ou 13 ans. À Notre-Dame du Refuge aussi, le nombre des Pénitentes augmentait. On signale la présence d'une « bonne demoiselle », Mlle O'Connor. Irlandaise, elle souhaitait vivre à l'ombre de la communauté d'Anglet. Elle fit don d'« une somme considérable » à la communauté dira l'abbé Cestac dans ses Notes. Elle avait un coeur excellent, généreux ». Mais, racontera-t-il aussi, « sa tête se montait, s'exaltait quelquefois, avec une certaine violence ». Elle souffrait beaucoup et faisait aussi souffrir. Il fallait calmer, adoucir l'une, encourager, soutenir les autres.
Enfin, elle en vint peu à peu se persuader qu'elle devait diriger la Communauté, avec moi sans doute, mais en écartant toutes celles qu'elle croyait avoir sur moi quelque influence ». Finalement, Mlle O'Connor quittera Anglet. Plus tard, ayant perdu toute sa fortune, et se trouvant sans ressources, l'abbé Cestac lui enverra des secours financiers. Deux nouvelles jeunes filles entrèrent chez les Servantes de Marie : Marie Supervielle, née à Bilbao, et Marie Jauréguiberry, née à Ossès. Cela portait à quatorze le nombre des « chères filles » de l'abbé Cestac.
Marie Supervielle, a vingt ans , elle deviendra Soeur Marie-François de Sales. Elle aura un rôle essentiel, et sera appelée la « Bonne Sœur ». Dubosc de Pesquidoux, qui a reçu les confidences de l'abbé Cestac, dira comment, au fil des années, la « Bonne Soeur » a su, par ses initiatives et son sens pratique, procurer des revenus à la congrégation… (à suivre...)
Le lendemain du jour où parut cette réponse, le Grand-Paradis connut son premier décès : Marguerite Baradat mourut, elle n'avait que quinze ans. Elle était au Grand-Paradis depuis deux ans. Cestac associera son souvenir à celui de son père. En effet deux jours après sa mort, Dominique Cestac mourait. Son fils n'a pu l'assister en ses derniers instants, parce qu'il était en train de confesser à la cathédrale. Le jour même, 31 octobre, il écrit une longue lettre à Élise pour l'informer de la nouvelle. Ce n'est pas une lettre triste. L’abbé Cestac se réjouit de la « bonne mort qu'a faite son père : Dieu a été bon pour lui jusqu'à la fin. Il a passé sans agonie, sans douleur. » Depuis 1819, Dominique Cestac avait fait un retour à une pratique religieuse régulière et plus encore depuis qu'il avait perdu son emploi de chirurgien des prisons, en 1836. Face à la mort de son père, Cestac ne se laisse pas aller à un chagrin inconsolable. Il a une vision toute chrétienne de la mort : « Moi, écrit-il à sa sœur, je regarde cet événement comme une séparation momentanée et qui me laisse une bien douce espérance de le retrouver avant longtemps auprès de Dieu. »
Il se rappellera ces recommandations de son père, dans les derniers jours: « Écoute, Édouard, ne mets jamais de bornes à ta charité, et rappelle-toi que c'est par l'abondance de la charité que tu feras descendre sur tes œuvres l'abondance des bénédictions divines. » Les orphelines assistèrent aux funérailles de Dominique Cestac…(à suivre)
La première attaque parut en 1839, dans « Le Phare de Bayonne ». Cestac : « Cet article fit grande sensation ; les ennemis du bien triomphaient ; les bons étaient indifférents et regrettaient que de bonnes intentions fussent ainsi perdues. Les personnes rares qui étaient pour l'oeuvre étaient consternées. Moi-même, ô ma bonne Mère, je recourus à vous ma seule espérance, et je fus me jeter à vos genoux dans votre chapelle … j'en sortis plein de lumière et de courage ; je fis une réponse que certainement vous dûtes me dicter vous-même.» La lettre de Cestac, parut le lendemain.
D'emblée, pour justifier l'utilité de l'oeuvre entreprise à Anglet, il montre que l'oeuvre du Refuge respecte les lois, explique qu'il a obtenu du Préfet un dégrèvement fiscal car le domaine acheté a un usage social. Il précise avoir adréssé au Ministère de l'Intérieur un descriptif détaillé de l'oeuvre. À juste titre il pouvait écrire : « Je n'ai donc point prétendu faire une oeuvre clandestine ; c'est au grand jour que j'ai agi ! » Évoquant les méthodes employées au Refuge : « C'est le silence, le travail et la prière qui sont les moyens de régénération ; c'est la douceur, la persuasion, qui président à la direction de la maison, car on ignore ce qu'il y a généralement de sensibilité dans un coeur dégradé. » Cestac dira que sa réponse «changea complètement les esprits » et que les préventions contre l'oeuvre cessèrent, au moins pendant quelque temps.(à suivre)
L’abbe Cestac était de retour à Bayonne avant la fête de l'Assomption, pour l'admission d'une orpheline au Grand-Paradis. Il y eut aussi de nouvelles vocations : en trois mois (septembre-décembre 1839), trois jeunes filles entrèrent dans la communauté des Servantes de Marie : Marthe Boutet, Anne Theillamon et Marie Benquel. L’une était originaire de Bayonne, l'autre d'Ainhoa et la troisième d'Oloron ; géographiquement, le recrutement des Servantes de Marie s'élargissait. Cestac les préparait à devenir, un jour, des religieuses. La préparation spirituelle devait précéder l'engagement canonique. «Je vous l'ai dit souvent déjà : je ne connais pas encore, d'une manière bien positive, les desseins de notre bon Sauveur sur nos petites oeuvres et sur celles qui les dirigent. Ce que je sais, ce dont je suis bien persuadé, c'est que je ne travaillerai à vous faire participer aux immenses bienfaits de la profession religieuse que quand je vous verrai toutes animées de cet esprit.»
Le nombre des Pénitentes, à N-D du Refuge, grandissait lui aussi. L’institution naissante, quoiqu'autorisée par l'évêque de Bayonne, suscitait la controverse. La première attaque dans la presse parut en octobre 1839, dans « Le Phare de Bayonne ». Le journal reproduisit cinq questions posées par un lecteur (anonyme)…voici les deux premiéres : I — Les maisons de refuge ouvertes aux filles repenties sont-elles nécessaires ou seulement utiles ? 2 — Ces maisons peuvent-elles exister sans autorisation ? (à suivre)
Encore à Paris, il adresse une longue lettre au Ministre des Cultes pour l'informer de ses fondations de Bayonne et d'Anglet. Il expliquait notamment pourquoi à Notre-Darne du Refuge il allait employer les repenties aux travaux agricoles :
« 1° La difficulté d'entretenir l'établissement par les ressources de la charité, vu l'insuffisance des travaux d'aiguille que je n'exclus pas cependant, tandis que dans une institution agricole, sagement dirigée, on trouve dans le produit des terres, dans le jardinage, le lait, etc., des ressources continuelles et sans cesse renaissantes ;2° l'avantage de ramener la plupart de ces filles à leur premier genre de vie, et de les remettre dans une direction qu'elles n'auraient jamais dû quitter ; 3° de détruire en elles l'amour du luxe et de la paresse, en leur donnant une vie active et très simple. 4° de les mettre en état d'être placées plus tard dans les campagnes, ou rendues à leurs familles, tandis que dans nos petites villes, elles seraient de suite reconnues et de nouveau exposées à se perdre ; 5° l'intérêt de leur santé ; 6e celui de leur mortalité, qui aurait peut-être à souffrir d'une vie trop sédentaire, avec un tempérament de feu.
On le voit, les analyses et suggestions de Parent-Duchâtelet, les réalisations de l'abbaye de Melleray, ses propres intuitions sur la psychologie féminine et sa connaissance sacerdotale de l'âme humaine se conjuguaient pour lui donner une vue claire de ce que devait être l’oeuvre de Notre-Dame du Refuge.(à suivre)
...Il crut utile (à Paris) d'aller rendre visite à un Bayonnais devenu riche et célèbre, Jacques Laffitte. C'est donc un homme important, influent, encore riche, et réputé pour sa générosité, que l'abbé Cestac rencontre en août 1839 dans son hôtel particulier dans l'ancienne rue d'Artois (devenue rue Laffitte depuis 1830). L'entretien fut très bref et sec.
Cestac l'a rapporté ainsi dans ses Notes manuscrites : « On m'introduisit. M. Laffitte était assis à son bureau— Que demandez-vous ? me dit-il. — Monsieur, je venais comme Bayonnais vous faire connaître une petite oeuvre de charité que je viens de fonder à Bayonne. — Qu'avez vous pour la soutenir ? — La Providence et les gens charitables.— Donnez 100 francs à M. l'Abbé. Ce fut tout. Je me levai, le saluai d'une simple inclination d'action de grâce et je partis. Le don était minime, pour un homme dont la fortune était encore estimée à 4 millions de francs (ce qu'ignorait sans doute l'abbé Cestac).
Mais surtout il avait été fait sans élan du coeur et sans que le riche banquier ne s'intéresse à l'oeuvre de celui qui était venu le visiter. (à suivre)
Après Melleray, Cestac ne retourna pas immédiatement à Bayonne. À Nantes, il s'embarqua sur un bateau à vapeur qui le mena, en trois jours, à Orléans. Puis il prit une diligence jusqu'à Paris. Il y resta quelques jours et prit pension « chez une bonne demoiselle assez âgée ». Le samedi, il se rendit à l'église Notre-Dame des Victoires qui, connaissait un renouveau de ferveur. La presse catholique évoquait fréquemment le renouveau de la foi et de la pratique religieuse dans cette paroisse parisienne. Il n'est donc pas étonnant que l'abbé Cestac, ait voulu se rendre dans cette paroisse du miracle ».
Dans ses Notes, il raconte comment, il put revoir certains de ses anciens et vénérables maîtres de Saint Sulpice. Il crut utile d'aller rendre visite à un Bayonnais devenu riche et célèbre, Jacques Laffitte. Né dans une famille modeste et nombreuse (son père était charpentier et avait dix enfants), Laffitte avait commencé par être apprenti charpentier, puis était devenu clerc de notaire avant de monter à Paris où il avait été engagé par le banquier Perrégaux. Il fit une belle carrière au point de devenir l'associé du banquier en 1807. En 1809, il était nommé régent de la Banque de France. En 1816, il était élu député, libéral, de Bayonne. Étant un des instigateurs de la Révolution de 1830, il fut, pendant quelques mois Président du Conseil et ministre des Finances. Il connut alors un très grave revers de fortune, mais il put fonder une nouvelle banque d'affaires en 1836. (à suivre)
On ne peut tout citer de la « Lettre de Melleray ». On relèvera: « Ce n'est pas assez de faire l'aumône aux pauvres : vous ne la leur refuserez jamais. Ne leur donnez point d'argent, puisque vous êtes pauvres ; mais partagez avec eux votre pain et votre méture. Regardez-vous comme abandonnées de Dieu, le jour où vous refuseriez l'aumône à un pauvre ; mais ce n'est pas assez. Il faut les aimer, les respecter ; les aimer comme vos frères, les respecter comme les images de Notre-Seigneur sur la terre. »
Une partie rappelle « l'unique objet » de la « mission » des Servantes de Marie : « La préservation des enfants exposées et la régénération de celles qui étaient tombées. » La « Mère des orphe¬lines » a autorité sur les deux maisons (Grand-Paradis et Notre-Dame du Refuge). Comme « mère supérieure » elle « nomme à tous les emplois mais « tout doit se faire avec grand esprit de douceur, de charité et de simplicité, il sera bon qu'elle s'entende avec la mère des pénitentes ».
Ces instructions se terminent par une longue exhortation sur « la confiance en la Divine Providence » et la dévotion à labbé très sainte Mère de Dieu. Vous devez considérer Marie, « comme votre vraie Supérieure et bonne Mère », répète l'aCestac. Cette lettre écrite à Melleray, plus qu'une Règle est une charte de fondation. Elle sera jointe aux Constitutions que Cestac écrira, plus tard, à Bétharram et elle est restée, jusqu'à aujourd'hui, un texte de référence. (à suivre)
Le jour où il commença sa retraite à Melleray, le 27 juillet, l'abbé Cestac entreprit la rédaction d'une lettre à ses « Chères filles en Notre-Seigneur ». Cette lettre —quarante-quatre pages— est la charte spirituelle des Servantes de Marie. Il ne s'agit pas encore de Constitutions (la congrégation n'existait pas encore canoniquement), ni non plus de Règles proprement dites qui lieraient les Servantes de Marie (à cette date, elles ne sont engagées par aucun voeu). Cestac n'est même pas sûr, à cette date, que les oeuvres fondées pourront être poursuivies… L'abbé Cestac, néanmoins, fixait une « Règle » qu'il entourait d'un abondant commentaire spirituel pour en montrer la portée et le sens profond. Dieu sera toujours le « maître souverain » de I’oeuvre, qui ne peut être menée que « sous la protection du Coeur de Marie ».
Cette attitude humble ne doit pas empêcher les Servantes de Marie d'agir, envers les Orphelines et les Pénitentes, comme des « mères prudentes et sages ». Garder toujours à leur égard « une conduite bonne, douce, modérée et surtout égale ». Ne pas avoir cette inconstance « qui fait que tantôt l'on est bon jusqu'à une inconvenante familiarité, tantôt au contraire, sévère jusqu'à l'orgueil ; de sorte que tour à tour, on leur passe tout et l'on gronde sur tout. Gardez-vous bien, mes chères filles, de ces divers excès, je ne saurais trop le répéter ; de la douceur, de la bonté, de l'égalité, une modération toujours constante, une fermeté qui sera le fruit de votre modération, et, pour tout renfermer en un seul mot, un grand esprit de Dieu. » (à suivre)
Le nombre des repenties augmentait. La « bonne Mère », hostile à cette nouvelle oeuvre, ne voulut plus s'occuper des orphelines. En revanche, malgré les controverses les vocations affluent. Élise venait fréquemment au Grand-Paradis, elle s'y dévoua totalement à partir du 21 janvier 1838. Élise, qui n'avait pas vingt-sept ans, s'efforçait d'asseoir son autorité. L'abbé Cestac mit en place une « liste de conduite des enfants », que remplissent les maîtresses et qui lui est remise chaque semaine.
La communauté restait très pauvre. L'argent manquait, et même parfois la nourriture pour le repas du soir. Élise fera faire des travaux de couture aux orphelines pour procurer un peu de revenus au Grand-Paradis, et en même temps pour se constituer un petit pécule conservé jusqu'à leur départ de l'orphelinat.
L'abbé Cestac, toujours vicaire à la cathédrale, passait fréquemment au Grand-Paradis (pas assez souvent se plaignait Élise). Mais leurs relations passaient aussi par des lettres. Une petite orpheline allait porter la lettre d'Élise à l'abbé, et celui-ci lui répondait par une lettre qui prenait le même chemin, ramenée par une autre pensionnaire.(à suivre)
Quand une pénitente se présente (avec billet de réception du bon Père), la mère des pénitentes lui fait écouter à genoux les règles de la maison. Ensuite la communauté se réunit à la chapelle ; toutes chantent les litanies de la Vierge, les bras en croix comme habituellement. Puis le Miserere, suivi d’une consécration à Marie. Et la mère des pénitentes l'introduit dans la communauté, où elle est accueillie par ses sœurs avec une joie des plus vives » L'initiative de l'abbé Cestac suscita la contro¬verse. « On prétendit que je mêlais les prostituées aux orphelines : vous jugez de l'émoi ! La municipalité intervint. Quelques personnages, qui ne nous voulaient pas du bien, profitèrent de l'occasion et se montrèrent sans pitié. On alla porter plainte à Monseigneur, qui promit de s'occuper de l'affaire et m'envoya chercher. Sa mère elle-même s'inquiétait. « (…) Contente-toi des orphelines. Ne reçois plus tous ces pauvres qui arrivent on ne sait d'où ; et quant à ces créatures !... tu vois bien que tu n'as plus de place ».
Son père se montrait bien plus confiant en la Providence : « Poursuis tes desseins sans t'inquiéter de rien ; et surtout, (…) ne doute jamais de la divine Providence. Dieu, qui te donne l'amour du bien, saura aussi te donner les moyens de le réaliser. » Encore fallait-il une maison. M. Dubrocq, qui lui avait procuré le Hougassé et qui possédait une grande maison, la lui proposa. L'abbé hésita puis refusa : il valait mieux que l'établissement soit éloigné de la ville et de ses tentations. (à suivre)
Dans ses Notes, l'abbé Cestac a raconté : « Ce grenier n'était pas lambrissé, de sorte que pendant tout l'hiver, non seulement le vent froid, mais la neige tombait sur ces pauvres enfants, en pleine figure, et jamais on n'entendit une seule plainte ; elles semblaient être d'autant plus heureuses qu'elles avaient plus à souffrir ; elles jouissaient d'une paix toute divine, et l'union des coeurs ne laissait rien à désirer : c'était trop de bonheur. »
Cette décision d'accueillir d'anciennes prostituées dans un grenier, au-dessus d'un local qui accueillait de jeunes orphe¬lines (une quinzaine à l'époque), scandalisa. Le fondateur a rapporté lui-même ce qu'on disait sur son compte : « On disait partout et on répéta que cette oeuvre n'était qu'une vraie folie ; que le pauvre abbé Cestac avait perdu la tête, que c'était une chose odieuse, même immorale, que de réunir dans une même maison, sous le même toit, de pauvres petites filles innocentes et les filles perdues ; que de ce mélange il ne pouvait en résulter que le malheur et la perte de cette oeuvre si intéressante jusqu'alors. » (à suivre)
À la fin de 1837, l'abbé Cestac prend une initiative audacieuse. Il a raconté comment deux femmes vinrent frapper, un jour, à sa porte, « l'une confuse et désolée, l'autre au contraire joyeuse et fort pimpante ». S'ensuivit un dialogue. Il a peut-être été enjolivé, mais la scène est authentique.
L'abbé Cestac, confronté à une urgence, a dû trouver dans la journée un logement pour ces filles des rues qui voulaient en sortir. Il ne pouvait plus envoyer de filles dans les Refuges établis à Montauban, Bordeaux ou Toulouse. Il devait les prendre en charge lui-même. Il pensa au grenier du Grand Paradis. On n'y accédait que par une trappe qui s'ouvrait dans le plafond du dortoir des orphelines.
L'abbé acheta, « pour deux francs », une grande échelle pour accéder au grenier et y installa les deux premières filles. Il fit aussi l'acquisition de lits pliants, de paillasses, de couvertures et il confia les deux « repenties » aux soins de la jeune Gracieuse Bodin. Elle n'était âgée que de vingt ans. Pourtant, elle accepta cette responsabilité nouvelle et s'installa avec les pénitentes dans le grenier.
Les débuts furent très difficiles. (à suivre)
Cestac y fera référence pour justifier ses choix. Parent-Duchâtelet (1790-1836), médecin à l'hôpital de La Pitié, à Paris, s'était spécialisé dans les questions d'hygiène publique. Il publia, un traité d'Hygiène publique (1836). En examinant le fonctionnement des Refuges et des autres maisons existantes (notamment celle du Bon-Pasteur, créée à Paris en 1821), il estime qu'elles présentent des inconvénients, notamment d'être situées en ville.
Elles tiennent, les « repenties » trop enfermées et leur proposent des travaux manuels trop limités. Parent-Duchâtelet suggère d'« introduire plus de variété dans les travaux, et surtout des occupations qui exigent du mouvement et un certain développement des forces ; Il regrette que l'établissement de Paris [le Bon Pasteur] ne soit pas à la campagne, qu'un vaste jardin n'y soit pas annexé, et que la culture des herbes potagères, dont la proximité de la ville assurerait le débit, n'y soit pas pratiquée en grand.». Parent-Duchâtelet suggère que d'autres activités manuelles et rémunératrices soient pratiquées dans les communautés des repenties, notamment le tissage et le blanchissage du linge.
Dans la maison que l'abbé Cestac établira à Anglet, il y aura des activités maraîchères et agricoles et le blanchissage du linge de la garnison de Bayonne. À l'évidence, il a été influencé par la lecture de Parent-Duchâtelet. (à suivre)
Les Refuges auxquels Cestac envoyait les prostituées ne purent plus les accepter, réservant pour les villes où ils étaient établis les places dont ils disposaient . Au printemps de 1837, Mgr d'Arbou invite l'abbé Cestac à l'accompagner dans une tournée de confirmations qu'il faisait dans des paroisses du Pays Basque. Sans doute voulait-il lui donner un témoignage public de sa confiance et peut-être mieux connaître les intentions de l'abbé Cestac.
Au cours de cette tournée, dans la chapelle des Missionnaires diocésains d'Hasparren, l'abbé Cestac médita sur la nouvelle oeuvre de charité et d'éducation qu'il envisageait d'établir. Lui apparut comme une évidence : « Les pénitentes ne seraient pas cloîtrées ; elles devraient vivre avec celles qui les dirigeraient, dans une maison dont les portes seraient ouvertes aux visiteurs ; elles travailleraient à la terre, elles cultiveraient les champs. >>
Les maisons du Refuge étaient toutes établies en ville. L'intuition d'établir son oeuvre à la campagne et de faire travailler les « repenties », pour leur procurer des revenus et les occuper physiquement, n'est pas une lumière qu'il aurait reçue d'un coup dans la chapelle d'Hasparren.
Comme il le fera plus tard à propos d'autres questions (le travail agricole, les méthodes pédagogiques), l'abbé Cestac a étudié la question de la prostitution et celle de la réinsertion des prostituées. Il a lu des livres sur le sujet, il a rencontré ou correspondu avec des responsables d'oeuvres. (à suivre)
Leur séjour en Angleterre avait familiarisé les moines de Melleray avec des pratiques agricoles nouvelles. Les terres que l'abbaye possédait furent mises en valeur de façon ingénieuse. Des zones couvertes de landes furent asséchées et converties en « prairies artificielles », destinées à fournir du fourrage pour l'alimentation des animaux. Les moines de Melleray furent les premiers à semer du ray-grass, importé d'Angleterre. Ils introduisirent aussi de nouveaux types de charrues et de herses, et des machines agricoles inconnues alors en France (une machine à battre le grain, un hache-paille, une « machine à couper les racines », une petite grue pour monter les sacs de grains dans les greniers).
Les visiteurs décrivent aussi les engrais nouveaux utilisés à Melleray : « Les engrais employés sont d'abord ceux des étables, ensuite des composts ou mélanges de terre, de boue d'étang, de chaux et de fumier. Le fumier pur se répand sur les terres dans la proportion de soixante tombereaux par hectare ; il en faut quatre-vingts de compost. On se sert aussi de la poussière des résidus d'anciennes forges à bras établies dans différents endroits dépendant de l'abbaye. Cette poussière forme une sorte de charrée mêlée de cendre et très convenable au sarrasin, principalement dans les terrains humides. »
Sans chercher à copier à Anglet tout ce qui se faisait à Melleray, l'abbé Cestac s'inspirera de certaines méthodes et de certaines techniques agricoles qu'il aura pu observer chez les Cisterciens. (à suivre)
Le voyage fut coûteux et dura plusieurs jours. Une diligence le mena à Bordeaux, puis à Nantes. Là, il prit une embarcation jusqu'à Niort. Il lui restait une vingtaine de kilomètres à faire avant d'arriver à Melleray. Il y arrive fin juillet.
L'abbaye, offrait une diversité d'activités agricoles et artisanales. Ce qui permettait aux moines de vivre en autarcie et leur procurait des revenus. Outre des forêts et un étang, qui alimentait deux moulins à eau, les moines possédaient de vastes pâturages, où ils élevaient des vaches et des moutons. Ils cultivaient des céréales et du houblon (d’où la bière, dont une partie était vendue à Nantes, à Angers et à Rennes). Ils possédaient un vaste verger, de pommiers à cidre et autres arbres fruitiers, et un vignoble, planté de muscadet. S’y ajoutait un jardin potager de 7 hectares alimenté par « les meilleures graines de Paris, d'Angleterre ou de Hollande » et ingénieusement irrigué : « … L'eau surabondante de l'étang qui avoisine le couvent, après avoir fait tourner les deux moulins, se distribue dans des canaux pratiqués dans les deux jardins et se réunit, de distance à autre, dans douze bassins creusés pour le recevoir. Des pompes, fixées dans ces bassins, la répandent ensuite et avec abondance dans les carrés. »
Les moines traitaient eux-mêmes la peau des animaux qu'ils abattaient. Une tannerie leur procurait le cuir nécessaire à leurs ceintures et sandales, et ils vendaient le surplus. Dans une forge, des frères convers fabriquaient des bêches, des haches, des serpes, des clous, les fers pour les boeufs et les chevaux. (à suivre)
La quinzaine de jours passée à l’abbaye de Melleray ne sera pas seulement consacrée à examiner les installations agricoles. Il fera également une retraite spirituelle dont le meilleur fruit sera la longue lettre adressée à la jeune communauté des Servantes de Marie. Melleray (du latin Mellearium, qui signifie ruche) avait été fondée par les cisterciens vers 1134.
Sous la Révolution, en 1790, les moines furent chassés, l'abbaye abandonnée un quart de siècle et les bâtiments rachetés par un négociant de Nantes. Certains moines réfugiés en Angleterre reprirent, à partir de 1794, une vie communautaire à Lulworth. 1817, Dom Antoine Saulnier de Beauregard, entré à Lulworth en 1795, revint en France avec quarante-cinq moines (dont la moitié était anglais ou irlandais). Il restaure l'abbaye de Melleray. Il fait de son monastère un centre agricole extraordinairement actif. Après la Révolution de 1830, la communauté fut déclarée illégale (notamment à cause de la présence de moines d'origine étrangère) et dissoute le 5 août 1831. Les terres de l'abbaye furent louées à des fermiers des environs.
Ce n'est qu'à la fin de 1837 que Dom Antoine et ses moines purent reprendre l'habit religieux et la vie communautaire à Melleray. Le monastère connut une deuxième renaissance. Cinq mois plus tard l'abbé Cestac vint à l'abbaye. (à suivre)
Ce n'est que le samedi 8 juin 1839 que les premières pénitentes purent s'installer à Anglet, sous la direction de Sr Marie-François de Paule (Gracieuse Bodin). À Bayonne, au Grand-Paradis, restaient seulement les orphelines, sous la direction d'Élise. Sa tâche n'était pas facile. Les lettres échangées avec son frère en témoignent. Le 17 juin, l'abbé Cestac cherche à la réconforter. Il l'encourage en l'exhortant à avoir une vue spirituelle de la situation.
Dans les oeuvres entreprises, les « croix intérieures et extérieures » sont toujours nombreuses, mais si on les considère comme une oeuvre de Dieu, « c'est à lui que nous devons nous adresser ; c'est lui qui prendra la direction des choses et les conduira à leur véritable fin : sa gloire et le salut des âmes ».
À Notre-Dame du Refuge, les débuts furent très difficiles. On ne s'improvise pas agriculteur ou agricultrice. Dans ses Notes, Cestac le dit : « La vie matérielle y était difficile. Personne ne savait travailler, aussi le travail [agricole] ne rendait rien ou à peu près rien, de sorte que vous me fîtes sentir les étreintes de la pauvreté et les vraies angoisses de l'indigence. »
L'abbé Cestac, par tempérament, ne se décourage pas devant les difficultés. Pour mieux comprendre ce que nécessite l'exploitation d'un domaine agricole, il va se rendre dans une abbaye cistercienne célèbre alors pour ses réalisations, l'abbaye de Melleray, dans l'actuel département de Loire-Atlantique. (à suivre)
Cestac envoie les prostituées dans différentes maisons d'accueil, fondées par des congrégations religieuses, à Bordeaux, à Montpellier, à Montauban et à Toulouse. Une autre fois, appelé d’urgence, dans une maison close, pour les derniers sacrements à une prostituée qui se mourait, il arrive trop tard. Il raconte : « Je me hâte, je cours, je franchis en frémissant le seuil de la porte... un cri perçant se fait entendre ; je me précipite, hélas, il n'était plus temps ; elle était morte... Mon âme fut terrassée, brisée, et devant ce cadavre d'une prostituée de 20 ans, au milieu des cris et des sanglots de ses compagnes épouvantées, se souviendra-t-il, je promis au Seigneur de travailler tous les jours de ma vie à préserver les jeunes innocentes. »
C'est une tradition ancienne dans l'Église de ne pas rejeter les prostituées et de leur venir en aide. C'est Jésus lui-même qui a montré l'exemple en laissant une « pécheresse » publique lui verser, en pleurant, du parfum sur les pieds (Luc 7, 36-50). Elle est devenue le modèle des « repenties ». À l'époque des Pères du désert, des récits circulent qui racontent la vie de prostituées qui se sont converties et se sont retirées au désert pour une vie de pénitence et de prière (Sainte Marie l'Égyptienne, Sainte Pélagie, et d'autres).
L'Église, tout au long de son histoire, est venue en aide aux prostituées par un apostolat d'accueil et d'accompagnement spirituel. (à suivre)
La prostitution était un des fléaux de Bayonne (Garnison et Port). Beaucoup des jeunes filles du Pays Basque, du Béarn, ou des Landes venaient y tenter leur chance, comme domestiques ou employées. Un certain nombre, se retrouvait, par appât du gain ou par naïveté, livré à une exploitation sordide. Les autorités combattaient ce fléau de façon sporadique, sans une réinsertion sociale : « De temps en temps, dans les boutiques qui bordent l'Adour, des rafles avaient lieu la nuit ; la police, alors, peuplait la prison : certaines jeunes filles, jugées récupérables, étaient embarquées vers les îles, Saint-Domingue en tête ; les autres attendaient d'être relâchées pour reprendre leur triste commerce. »
Cestac sera amené progressivement à s'occuper des prostituées.
Il l’a raconté : « Un matin, je récitais mon bréviaire. Ma mère, avec laquelle j'habitais, vint me dire qu'une femme jeune, demandait avec instance à me parler. Je la fis entrer. C’était une
prostituée, qui se jeta à mes pieds, m'avouant avec larmes de quel lieu elle venait, me suppliant de la sauver. Une heure après, une seconde prostituée parut, le lendemain encore une autre, et
ainsi de suite pendant plusieurs jours. Que faire ? les accueillir ? Je ne pouvais les garder chez ma mère, ou les mêler aux orphelines ; les rejeter dans la rue ? j'y pensais encore moins. »
(à suivre)
Fin 1837, le Grand-Paradis accueille déjà une trentaine d'orphelines, l'abbé Cestac se donne une organisation plus rigoureuse. Après un an et demi de fonctionnement de l'orphelinat, en fonction des aptitudes et compétences, il attribue à chacune des « maîtresses » des fonctions spécifiques. À cette époque, elles sont quatre.
La « bonne Mère » a « la surveillance et la direction des choses », et représente l'abbé Cestac auprès des personnes extérieures contribuant à la marche de la maison. À Mlle Gracieuse revient la préparation et la surveillance de tous les « ouvrages de mains », travaux de couture et de tricot confiés aux orphelines . Mlle Félicie est chargée de l'instruction chrétienne des enfants, par des lectures, des explications et les « méditations ». L’abbé Cestac n'exige pas des leçons apprises par coeur, mais des « paroles simples et affectueuses » propres à former dans les enfants « quelques bonnes et saintes pensées ». Mlle Félicie était chargée aussi de préparer les fillettes à la première communion et à la confirmation. Enfin, à Mlle Sophie revient le soin du ménage et de la comptabilité. Elle tenait le cahier des travaux confiés au Grand-Paradis, y notait la nature de la commande, la date de livraison, le prix convenu et aussi le nom de l'enfant ou des enfants chargée (s) de l'exécution, « afin que la part qui leur revient leur soit définitivement comptée ».
Dès le départ, les orphelines avaient été incitées à se constituer un petit pécule par leur travail. Cette pratique les encourageait à l'effort et leur donnait le sens de l'épargne. Cette première organisation — du moins sous une forme écrite — est intervenue quelques jours avant que l'abbé Cestac soit amené à une nouvelle initiative charitable : recueillir lui-même des prostituées.
(à suivre)
Mgr d'Arbou, conçut le projet de conseil d'administration pour gérer les finances de l'oeuvre de Cestac. Quand l'évêque lui exposa le projet, la liste du conseil d'administration était déjà arrêtée ( « des hommes riches, chrétiens et jouissant de la considération universelle »).
Cestac ne vit que des inconvénients : il perdrait son indépendance et le conseil d'administration pourrait imposer des décisions qui ne lui conviendraient pas — par exemple, faire admettre, à côté des orphelines, reçues gratuitement, des enfants qui paieraient une petite pension. Il avança ceci : « Si l'on voit à la tête de cette oeuvre des hommes riches, on dira : ces messieurs sont capables de la soutenir ; et personne ne voudra plus donner ; et si au contraire on ne voit que le pauvre Cestac, on donnera comme on donne, car jusqu'à ce jour rien ne nous a manqué ».
L'évêque de Bayonne se rangea aux raisons de Cestac, et il ne fut plus question de conseil d'administration. Octobre 1837, Jeanne-Elisabeth Bichier des Ages (1773-1838), fondatrice de la congrégation des filles de la Croix, réside à Igon, où sa congrégation a un noviciat, et à Ustaritz, où il y a un autre couvent. Les filles de la Croix, se vouaient au « soulagement des pauvres et des malades » et à l'instruction des plus pauvres. C'est peut-être par Michel Garicoïts, aumônier des soeurs d'Igon, que Cestac fut mis en relation avec la fondatrice. Mère Jeanne-Elisabeth, retournée à La Puye, devait mourir quelques mois plus tard ; Cestac restera toujours en liens étroits avec les Filles de la Croix d'Ustaritz.
(à suivre)
Le Grand-paradis, un signe de la Providence ? Une marque de la bonté de la Vierge ? …
La générosité des autorités civiles était intéressée.
La commune n'étant appelée à aucune subvention pécuniaire, la ville se déchargeait sur l'abbé Cestac d'une oeuvre sociale qu'elle ne pouvait ou ne voulait pas entreprendre ; plus tard les communes et l'État laisseront la congrégation de l'abbé Cestac fonder des écoles gratuites pour filles… qui ne seront pas à la charge des finances publiques.
Le Conseil municipal de Bayonne n'imposa à l'abbé Cestac que la tutelle d'une commission de surveillance, composée de trois conseillers. Le déménagement du Hougassé au Grand-Paradis eut lieu fin 1836 ou janvier 1837. Quatorze orphelines, accompagnées de la « bonne Mère » et des maîtresses, s'installèrent dans la nouvelle maison. De nouvelles orphelines furent accueillies : trois entrèrent le 21 janvier, trois autres en février, seize au total pour l'année 1837. « Nos petites orphelines vont très bien, ainsi que les maîtresses » peut alors écrire Élise à son frère.
C'est durant cette année 1837, sans doute, que Mgr d'Arbou, sur la suggestion d'un prêtre du diocèse, conçut le projet d'instituer un conseil d'administration qui gérerait les finances de l'oeuvre de l'abbé Cestac, tiendrait les comptes des dons et des dépenses et donc interviendrait dans les décisions concernant le développement de l'oeuvre.
(A suivre)
Une des sept orphelines entrées le 11 juin en partit le 20 juin.
L'abbé Cestac : « L'esprit d'insubordination se manifesta bientôt : les cabales, les révoltes se multiplièrent, se généralisèrent parmi ces pauvres petites : elles regrettaient, sans doute, leur vie vagabonde et libre. Le joug du travail et de l'obéissance leur parut insupportable ; ce fut un véritable enfer. Ni la douceur, ni les punitions, rien n'avait de succès pour ces enfants.»
Cestac se décourageait.« Plongé dans les ténèbres et la désolation » il consulta « un saint religieux franciscain». Il s'agit du P.Joseph Areso, franciscain réfugié d'Espagne, qui résidait alors à Bayonne. Il l'encouragea à poursuivre son apostolat.
Néanmoins, l’œuvre, qui avait connu très vite des heures chaotiques, grandissait.
En cinq mois, le nombre des pensionnaires passe de sept à quatorze. L'institution correspondait donc à un besoin réel dans la société bayonnaise. Déjà, filles et jeunes maîtresses étaient à l'étroit.
De manière inattendue, le 7 janvier 1837, sept mois après l'ouverture du Hougassé, le conseil municipal de Bayonne vota une délibération cédant à Cestac, en location gratuite, une grande maison propriété de la commune. Cette maison, dite du « Grand-Paradis », jouxtait le cimetière. Elle avait été occupée jusque-là par les Filles de la Croix qui tenaient une école primaire pour les petites filles pauvres. Transférée dans le centre de la ville, la municipalité confia le Grand-Paradis à Cestac, sans exiger de loyer.
(A suivre)
L'ouverture de cette maison d'accueil, dans la discrétion, fut connue de toute la ville et suscita des sympathies et des générosités. Cestac dira : « Toute la ville prit part à cet événement [...] tout le monde applaudit à cette petite œuvre qui réunit les sympathies générales. Quelques bonnes demoiselles s'employèrent à réunir des listes de souscription et de secours et trouvèrent partout un véritable élan de cœur. »
Mais il ne s'agissait pas seulement de recueillir des infortunées, de les nourrir, de leur offrir un toit. Il fallait aussi poursuivre leur éducation et les former. Outre « la bonne Mère », des jeunes filles vinrent aider l'abbé Cestac dans son oeuvre naissante. Elles furent d'abord appelées « les maîtresses ».
La première fut Gracieuse Bodin, née à Saint-Jean-Pied-de-Port. Elle n'avait que dix-neuf ans et deviendra une collaboratrice fidèle de l'abbé Cestac qui lui confiera de grandes responsabilités ; elle deviendra Sœur Marie-François de Paule. Il y avait aussi Sophie Offret qui, elle, deux ans plus tard entrera au couvent des Dames de Lorette à Bordeaux. En janvier 1837 arrivera Félicie Lafosse (la future sœur Marie-Louis de Gonzague).
Élise Cestac passait fréquemment au Hougassé, et apportait son entrain, sa vivacité et son aide. Ces maîtresses ou éducatrices, pas encore religieuses, auront bientôt un costume commun, pour les distinguer de leurs jeunes pensionnaires : une robe bleue, un tablier noir dessus, un châle marron sur les épaules et un bonnet blanc.
(A suivre)
L'abbé consulte sa sœur Élise sur l’uniforme. Elle se chargera d'acheter le tissu, dans le magasin de sa cousine Lucile Amitessarobe.
« Je suis occupée à fonder un ordre », répondit-elle en riant à quelqu'un qui l'interrogeait sur ce travail . Cette expression, l'abbé Cestac ne l'aurait pas employée, à cette époque. Il décrit ainsi les débuts : « Le logement était prêt, les habits se confectionnaient. Il fallait recueillir les pauvres petites abandonnées. Je fis battre les haies dans les plus mauvais quartiers, et je recueillis sept petites filles dans l'excès de la misère : elles étaient, pauvres enfants, en guenilles et couvertes de vermine. On fit bouillir une grande chaudière d'eau pour y plonger leurs haillons ; on les revêtit de leurs habits nouveaux qui étaient très propres, et l’œuvre commença. »
L'entrée dans la maison du Hougassé eut lieu le samedi 11 juin 1836, en la fête de Saint Barnabé. Revêtues de leur uniforme, les sept filles partirent à la cathédrale, sous la conduite de celle qui allait devenir leur « bonne Mère ». Elles assistèrent aux vêpres, puis à la bénédiction du très Saint Sacrement. Elles se rendirent ensuite à l'évêché tout proche, en face de la cathédrale, où elles reçurent la bénédiction de Mgr d'Arbou. Puis elles s'acheminèrent vers le Hougassé, où elles prirent leur premier repas et passèrent leur première nuit.
(A suivre)
« Le Hougassé » comprenait « une cuisine de campagne : des murs nus, une grande cheminée noire, un sol de terre battue » et, à l'étage, une chambre, sans meubles elle aussi. Cestac acheta, auprès de revendeuses d'objets d'occasion, du mobilier, des lits pliants, des couvertures et se procura, auprès de différentes familles riches de la ville, draps de lit, chemises, torchons et serviettes. Une telle oeuvre, même très modeste à son origine, ne pouvait être entreprise sans l'accord des autorités.
L’abbé Cestac avait soumis son projet à l'évêque de Bayonne. Mgr d'Arbou donnera la première bénédiction. L'abbé Cestac voulut aussi prévenir les autorités civiles. Le 8 juin 1836, il adressait une longue lettre au maire de Bayonne, François Balasque. Il y exprimait une intuition à laquelle il restera très attaché : il ne s'agissait pas de faire un acte de charité en recueillant des orphelines ou des fillettes abandonnées par leurs parents, il s'agissait aussi de leur donner une première instruction, religieuse et profane, et de préparer leur réinsertion dans la société. Formées aux travaux domestiques de base (ménage, cuisine, repassage, etc.), « elles pourraient dans un ou deux ans trouver des places convenables et échapper ainsi aux inévitables dangers de leur situation ».
Le Père Cestac voulut aussi qu’elles aient un uniforme. Elles ne pouvaient garder leurs haillons, même lavés et rapiécés. Un uniforme leur rendrait une dignité, en même temps qu'il les mettrait sur un pied d'égalité pour un nouveau départ dans la vie.
(A suivre)
L'abbé Cestac n'envisagea pas d'emblée un grand établissement. Il songea à trouver un local, une « chambre » pour recueillir les jeunes malheureuses.
Vicaire à la cathédrale, il ne pourrait pas non plus être présent tout le temps auprès des enfants. Il lui fallait intéresser une personne de bonne volonté. Aussi, tout en venant en aide aux
fillettes, il cherchait à la fois un local et « une personne qui voulut se charger de diriger ces pauvres petites ». Mais toujours quelque difficulté ou quelque objection se
présentait.
Très vite, il placera l’œuvre à venir sous le patronage et la protection de la Vierge Marie.
À une « personne ancienne qui avait été occupée autrefois aux œuvres de la charité chrétienne » et qui estimait qu'« à Bayonne on
avait beaucoup commencé, mais que jamais on n'avait réussi en fait d'œuvres charitables », il avait répondu, comme par une inspiration :
« Mais, Mademoiselle, elles seront appelées les orphelines de Marie, et la Très-Sainte Vierge sera leur
mère ».
Finalement, Cestac trouva la personne adéquate pour le seconder, « une ancienne femme de chambre, âgée d'une cinquantaine d'années ». Il ne
donnera pas de nom à cette personne qui va l'aider dans l'œuvre naissante, pendant plus d'un an. Elle sera appelée
familièrement par les orphelines la «bonne Mère».
Puis, une maison fut trouvée. Joachim Alexandre Dubrocq, ancien maire de Bayonne, « homme riche, excellent chrétien et très charitable » lui
proposa un local. Dans le quartier Lachepaillet, il mit gratuitement à sa disposition une petite maison, « le Hougassé ».
(A suivre)
… à Monsieur le Maire (suite)
«… des petites filles, réclament cependant les secours de la charité chrétienne. Leurs tantes ou leurs mères (car le plus souvent elles n'ont pas de père) ont pu les nourrir avec peine, jusqu'à leur première communion, mais après, les dépenses devenant plus fortes (vêtement et nourriture), elles leur déclarent ne pouvoir les garder ; que doivent donc devenir ces enfants ? Traîner une vie aventureuse et misérable, ou se jeter dans de sales auberges où leur perte est assurée ?»
L'abbé Cestac, dès cette époque, est sensible à la prostitution précoce (à 15 ou 16 ans) mais de manière délibérée, il veut s'occuper des plus jeunes, de manière préventive. Dans les années 1830, la situation sociale de Bayonne était calamiteuse. Les institutions charitables, toutes liées à l'Église, avaient disparu sous la Révolution. Sans être remplacées. Seul un hospice pour les malades avait subsisté. Dans les «classes laborieuses», comme on disait alors, et chez les pauvres, nombre d'enfants et d'adolescents étaient livrés à eux-mêmes ou contraints de travailler très jeunes.
A cette époque, l'école n'était obligatoire ni pour les garçons ni pour les filles et les communes n'étaient pas tenues par la loi d'entretenir un établissement scolaire. Bayonne comptait une dizaine d'écoles primaires dont deux seulement pour les filles. C'était une part très réduite des enfants qui étaient scolarisés : 240 garçons seulement et une trentaine de filles. À quoi s'ajoutait un établissement fondé par les Filles de la Croix qui scolarisait quelque 200 filles de familles pauvres.
(A suivre)
Dans une lettre au maire de Bayonne, Cestac écrit « Il est dans Bayonne un certain nombre de petites filles appartenant à la dernière classe de la société, quelques-unes absolument orphelines, d'autres privées de leur père ou de leur mère, d'autres enfin qui dans leurs parents ne trouvent que de pernicieux exemples, trop souvent de funestes conseils.
On les rencontre dans les rues dans un état digne de pitié ; pieds et jambes nus, vêtues de lambeaux sales et dégoûtants et portant sur elles tous les traits de la plus extrême misère. Leur moral est dans un état plus triste encore s'il est possible : croupissant dans une ignorance absolue, elles subissent toutes les conséquences de leur déplorable situation. » (…)
Tels sont les dangers du dedans, ceux du dehors ne sont pas moindres.
Dans les beaux jours, elles vont rôder autour des charpentiers de navire, demandant la permission de ramasser des copeaux, mais on leur fait acheter bien cher un peu de complaisance ! (…) dans les jours de pluie les ouvriers ne travaillent pas, les copeaux manquent, et leur unique ressource est la mendicité.
Cet état de choses devient plus grave à mesure que ces petites grandissent, et (…) je peux néanmoins assurer qu'au plus favorable, ces enfants, accoutumées à une vie fainéante et vagabonde, forment et alimentent cette partie de la population qui se fait remarquer, à Bayonne comme ailleurs, grossière, hagarde, scandaleuse et brutalement dévergondée (...)»
(A suivre)
A partir de 1833, Cestac s'attacha à une nouvelle forme de misère : «C'étaient des jeunes filles de 11 à 13 ou 14 ans que je voyais vêtues de haillons et un panier sous le bras, aller çà et là chercher leur vie en ramassant des copeaux dans les chantiers des charpentiers, des os dans les campagnes, exposées à tous les dangers et à tous les malheurs. »
À la fin de sa vie, à l'écrivain Dubosc de Pesquidoux qui l'interrogera sur son itinéraire, il racontera un événement plus précis : «Un jour, dans une de mes courses, je découvris au fond d'un faubourg deux petites orphelines abandonnées. Elles étaient pâles, chétives, exténuées, sans vêtements, et faisaient mal à voir. Dieu me suggéra le dessein de me charger de ces enfants.»
Emu, le Père Cestac n’a pas tout de suite conçu le projet d'ouvrir une maison pour ces petites orphelines. Si l'on suit la chronologie, il se passe trois années entre la rencontre des premières orphelines et l'ouverture de la première maison. Pendant ce temps, il leur est venu en aide de différentes manières et a essayé de comprendre leur situation en parlant avec elles. « J'en interrogeai plusieurs, et toutes me répondirent unanimement qu'elles n'allaient pas à l'école, parce qu'elles n'avaient pas de quoi vivre ; qu'elles étaient obligées de pourvoir elles-mêmes à leur nourriture, à leur loyer, à leurs vêtements, n'ayant personne qui pût ou qui voulût s'occuper d'elles. »
(A suivre)
il sera plus en rapport avec les pauvres.
Il logeait chez ses parents, à deux pas de la cathédrale. Les pauvres, allaient jusqu'à la porte de son domicile et attendaient, dans l'escalier, qu'il leur donne quelque secours. Sa réputation de charité se répandit très rapidement et tous les jours la file d'attente se reformait.
Une fois, parce qu'elle se présentait tous les jours, l'abbé Cestac avait renvoyé une jeune pauvresse. Bientôt, il en eut du remords et il n'eut de cesse de la retrouver dans la rue et de l'encourager à revenir tous les jours, comme à l'ordinaire.
Une autre fois, c'est une jeune fille de 16 ans, « d'une beauté rare, exceptionnelle », qui se présenta à lui, ne sachant où aller, craignant pour sa vie … L'abbé Cestac la confia à une «veuve respectable», mère de deux filles du même âge…
Les pauvres, la visite des malades, le confessionnal, la préparation des sermons occupent la plus grande partie de son temps. Une revue de Paris, L'Écho de la Jeune France, le contacte pour être son correspondant à Bayonne. Cette revue, au sous-titre «Journal des Progrès par le christianisme », avait été créée en 1833 et se flattait d'avoir dans son comité de rédaction de grands écrivains, tel Balzac ou Lacordaire... L'abbé Cestac déclina l'invitation.
(A suivre)
À l'abbé Cestac, échut de l'apostolat extérieur.
« Je me trouvai immédiatement chargé, dira-t-il, de presque tous les pauvres et de tout le service de la banlieue. »
Ce n’est pas à cette époque que Cestac découvre les pauvres et comprend le devoir de charité qui s'impose à tous les chrétiens. Il se souviendra qu’enfant, il accompagnait sa grand-tante à la cathédrale et qu'en chemin il distribuait du chocolat aux pauvres rencontrés.
Sa correspondance révèle les charités, cachées, qu'il pratiquait de concert avec sa sœur, alors qu'il était encore à Larressore, et combien cela lui tenait à cœur :
« Tu ne saurais croire, ma chère amie, le plaisir que m'a causé le récit de tes visites chez ces pauvres familles. Mon cœur est consolé en voyant que tu aimes les pauvres ; mais, pauvre toi-même, tu n'as pas grand-chose à leur donner. Eh bien, ma chère amie, nous ferons un accord : de temps à autre je te ferai passer quelque chose pour les pauvres, et la bonne œuvre sera de moitié entre toi et moi. Je fournirai, et toi tu distribueras avec prudence et selon le besoin. Pour aujourd'hui tu recevras cinq francs que je destine à cette œuvre ; n'en dis rien, cela doit être entre toi et moi ».
(A suivre)
Le synode avait précisé : «les confesseurs n'entendront jamais les confessions dans les maisons particulières, à moins que les personnes ne soient malades, ou tellement infirmes qu'elles ne
puissent se rendre à l'église». Il interdisait aux prêtres de confesser «sans surplis».
Parmi les enfants que l'abbé Cestac entendit en confession, il y eut François Lavigerie.
Le cardinal se souviendra qu’il fut son premier confesseur. En effet, le jeune Lavigerie fut élève de l'institution Saint-Léon, à Bayonne, à partir de 1833. L’aumônier de l'école le prépara à la première communion, mais c'est l'abbé Cestac qui le confessa.
Devenu évêque de Nancy, Mgr Lavigerie entrera à nouveau en relation avec Cestac et le sollicitera pour faire venir des Servantes de Marie dans son diocèse. L'essentiel de son temps (à Cestac) est désormais consacré à un apostolat concret, au service des fidèles et de ceux qu'il rencontre. Néanmoins, il ne se désintéresse pas de l'enseignement de la foi.
Au début de l'année 1832, à la demande son ancien confrère de Larressore, l'abbé Hiraboure - plus tard vicaire général de Bayonne et évêque d'Aire - il dresse le plan complet d'un «cours d'instruction religieuse».
(à suivre)
L'abbé Cestac y restera d’août 1831 à janvier 1850.
Il était « troisième vicaire ». Le curé, l'abbé Barbaste, avait dû s'exiler en Espagne durant la Révolution. Il était avancé en âge. C'était, dira Cestac, un «prêtre sévère dans l'accomplissement du devoir, soit pour lui-même, soit pour ceux qui travaillaient sous lui». Il se montra sans doute exigeant envers le jeune prêtre qui venait de Larressore. Il fut peut-être aussi, suspicieux face à cet ancien professeur qui venait de perdre sa charge.
Le premier vicaire, l'abbé Marsan, avait 71 ans ; le second, l'abbé Arbelbide, «d'une santé toujours douteuse» était «forcé de circonscrire son ministère dans des bornes assez limitées».
A Cestac échurent donc des charges multiples. Parmi celles qui lui incombaient, il y avait celle de confesseur. Il racontera : «Mon confessionnal, établi dans une chapelle sous le vocable de Saint François de Sales, était dans la plus pauvre, la plus nue de toutes les chapelles ; elle était constamment remplie de pauvres. Peu ou point de dames riches, point de demoiselles de famille, mais de pauvres domestiques, des artisans, en un mot des pauvres : ils se trouvaient plus à l'aise avec moi, et moi plus à l'aise avec eux. »
Le synode de 1829, avait fait des recommandations concrètes …
(A suivre)
Il n'y eut pas de purge brutale et la plupart de ces mutations passèrent pour… des promotions (ndlr Rien de nouveau sous le soleil…).
Les intéressés éprouvèrent de la peine d'être éloignés les uns des autres. Certains racontent qu'après cette mesure de Mgr d'Arbou, l'abbé Cestac se sépara de tous les livres de l'abbé Lamennais qu'il possédait et brûla tous ses écrits qui pouvaient se ressentir de son influence.
L'abbé Puyol a pu consulter divers écrits, philosophiques ou théologiques, qui datent des années où Cestac était professeur de philosophie. L'influence réelle des idées de Lamennais sur lui, reste impossible à déterminer. D'autant plus que dix ans plus tôt, à Saint-Sulpice, il a suivi les cours, et subi l'influence, de l'abbé Carrière, un des précurseurs dans la réfutation de Lamennais.
L'abbé Cestac n'a donc jamais été un « mennaisien » absolu.
Dans les Notes rédigées trente ans après avoir quitté l'enseignement, il ne citera pas une seule fois Lamennais et minimisera cet épisode de sa vie : « Par une suite de circonstances qui n'ont rien de saillant, je fus retiré du séminaire de Larressore où je professais la philosophie, pour être placé à la cathédrale de Bayonne comme vicaire ». Quand L’Avenir suspend sa parution, en novembre 1831, l'abbé Cestac était en fonction à la cathédrale depuis plusieurs mois. Quand les théories de Lamennais seront condamnées par le pape Grégoire XVI (encyclique Mirari vos en 1832 et Singulari nos en 1834), l'abbé Cestac était déjà engagé dans un apostolat tout différent.
(A suivre)
Peut-être Mgr d'Astros a-t-il annoncé les mesures qu'il allait prendre (mi-février 1831) et a-t-il engagé Mgr d'Arbou à être vigilant dans ses séminaires à Bayonne.
Sa première visite fut pour le séminaire de Larressore. Le supérieur, l'abbé Claverie, « voulut, à force de prévenances, dissiper les inquiétudes de son évêque ». Il fit revêtir, à tous les professeurs et à tous ses séminaristes, leurs soutanes les plus sombres « afin de donner à tout le séminaire une physionomie de sévère austérité qui contrastât singulièrement avec les idées d'indépendance que l'on prêtait à cette jeunesse » et il fit préparer un discours d'accueil, en latin, « bien sobre et bien grave ».
Mgr d'Arbou quelques mois plus tard, prend des mesures. Elles furent annoncées aux intéressés après la fin de l'année scolaire. Mgr d'Arbou aurait « dispersé » les professeurs de Larressore, les soupçonnant de sympathie pour les idées de Lamennais, dont la condamnation se préparait. Dans les archives, il n’y pas trace de rétractation formelle demandée aux professeurs de Larressore. Quant à la dispersion des professeurs, elle s'échelonna dans le temps.
En août, l'abbé Cestac fut nommé vicaire à la cathédrale ; enfin, à la fin de l'année scolaire de 1834, c'est le directeur, l'abbé Claverie, qui devra quitter le séminaire pour être nommé chanoine à la cathédrale.
(A suivre)
On peut relever des similitudes entre l'école menaisienne et le jeune abbé Cestac : la défiance à l'égard de la raison séparée de la foi, le refus de l'individualisme, la confiance en la liberté.
Néanmoins, l'abbé Cestac n'a pas été en relation directe avec Lamennais ni avec ses collaborateurs. Il n’a pas partagé toutes les positions de Lamennais. Notamment, il n’a pas été partisan de la séparation de l'Église et de l'État. Au contraire, l'abbé Cestac affirme que l'Église est « dépositaire des vérités sociales, comme des vérités théologiques, chargée de la vie des peuples, comme des individus ».
Il va devoir quitter le séminaire de Larressore. L'évêque (depuis 1820) Mgr d'Astros, est nommé archevêque de Toulouse en 1830. Lui succède Mgr d'Arbou (février 1831). Dans les mois qui suivent, il prend des mesures sévères contre les prêtres soupçonnés de partager les idées de Lamennais. Mais ce n'est pas une décision de Mgr d'Arbou. C'est Mgr d'Astros qui va « animer » les mesures contre les « mennaisiens », en attendant les condamnations qui viendront de Rome.
Peu de temps après, dans le diocèse de Toulouse, il interdit que « L'Avenir » soit lu dans les séminaires. Son successeur à Bayonne, Mgr d'Arbou, résidait jusque-là à Toulouse, près du Grand Séminaire. Les deux ecclésiastiques se sont rencontrés avant le départ de d'Arbou pour Bayonne.
(à suivre)
Une monarchie libérale s’est installée en France, mais l'insurrection de la Pologne n'est pas terminée (défaite des troupes polonaises par la Russie en 1831). Cestac écrit : « Au milieu des débris amoncelés autour de nous, il a été consolant pour nos cœurs de voir s'élever, soutenus par la foi et le génie, destinés à vivifier la société, à régénérer le monde, Dieu et la liberté. Invincible besoin de la nature humaine, condition nécessaire de la paix sociale, ces deux mots représentent l'homme tout entier ».
La formule « Dieu et la liberté » vient de Lamennais. Elle résume le programme de L'Avenir, journal qui paraît à partir du 16 octobre 1830, à l'initiative de l'abbé de Lamennais, de l'abbé Gerbet, du P. Lacordaire et de Charles de Montalembert.
Avec « Dieu et la liberté », le journal veut réconcilier la foi en Dieu et les aspirations à la liberté du peuple. Il défend, à la fois, l'autorité souveraine du pape en matière religieuse et la souveraineté du peuple en matière politique, et, en même temps, le principe de la séparation de l'Église et de l'État. L'Avenir était lu au séminaire de Larressore. Même au réfectoire, pendant les repas pris en silence. « On lisait au réfectoire, dans L'Avenir, les articles étincelants de Lamennais, Lacordaire, Gerbet et Montalembert ; maîtres et élèves restaient tout frémissants, sous la parole chaude et convaincue des jeunes réformateurs. (…) On se prenait d'amour pour Rome ; en saluant le Pape infaillible, on le vengeait de trois siècles d'injures et d'avanies ».
Sur un plan plus strictement philosophique et théologique, l'abbé Cestac partagea-t-il, à un moment, les idées de Lamennais ? Ce sera une des difficultés qui seront soulevées par le Promoteur de la Foi lors de son procès de béatification.
(A suivre)
…en France, puis en Pologne.
La situation politique était très différente et on a ramené la cause de ces révolutions à une aspiration générale à la «liberté ». Néanmoins, la soudaineté de la révolution de juillet et son succès rapide - les « Trois Glorieuses » - ont créé la surprise.
L'abbé Cestac, en a eu l'intuition …
Janvier 1830, dans une lettre à sa sœur, il évoque « les malheurs qui nous menacent ». La Révolution de juillet 1830 va être sanglante et verra le triomphe des libéraux, Louis-Philippe succédant à Charles X. L'abbé Cestac rédigera un article (non-publié) où 1830 lui parait comme « la suite, la continuation » de 1789. Ce sont « les mêmes doctrines, les mêmes hommes, les mêmes cris, les mêmes moyens » …. C'est un « esprit » qui a triomphé: « l'indépendance contre l'autorité légitime, l'esprit d'incrédulité, constituant l'homme essentiellement indépendant, cet esprit d'orgueil qui porte l'homme à s'irriter contre tout frein…. »
La Pologne entre en révolution en novembre 1830. La Russie avait annexé une partie de la Pologne quatre décennies plus tôt. A Varsovie c’est la nation polonaise qui se lève pour son indépendance. Certes, il y a « une alliance entre les opinions les plus opposées, entre les fervents catholiques et les libéraux même irréligieux ».
Cestac lucide : « … Le catholicisme, après avoir triomphé du despotisme qui l'étouffait, aura à se défendre contre l'anarchie qui pourra le menacer encore ».
(A suivre)
Y furent rappelés aussi l'interdiction de « toute chasse avec des chiens ou avec des armes à feu », de « porter, même en voyage, ni fusil, ni pistolet, ni épée, ni aucune autre arme semblable, si ce n'est en certaines occasions extraordinaires où la défense naturelle y autorise, et dans les cas permis par le droit ». Pour tous les ecclésiastiques sont proscrits aussi les jeux de hasard et d'autres « tels que ceux de billard, de boule, de paume, dans les cabarets, les maisons publiques de jeu, sur les places ou autres lieux fréquentés du peuple ». Le synode prescrivait aussi aux prêtres de n'assister « surtout à aucun spectacle, bal, ou autre divertissement de ce genre ».
Ces prescriptions du synode ne devaient pas rester lettre morte. Dans le mandement de la publication des statuts synodaux, Mgr d'Astros précisera qu'ils « auront force de loi dans tous les
lieux de notre diocèse à partir du 1er juillet de l'année 1830 » et ordonnera que tous les prêtres du diocèse se procurent « incessamment d'un exemplaire des dits statuts ». Ils
devaient « les lire en entier avec attention deux fois chaque année » et « les consulter souvent, suivant l'occasion et le besoin. » L'abbé Cestac, qui a participé à ce synode
qui régira la vie ecclésiastique du diocèse pendant plusieurs décennies, a été, sans nul doute, fidèle à ses prescriptions.
(A suivre)
…réuni par Mgr d'Astros.
Étaient membres de droit les vicaires généraux, les chanoines de la cathédrale, les archiprêtres et les doyens. Mgr d'Astros y ajoute quatre Missionnaires diocésains (Garat, Inchauspé, Guiresse, Haramboure), divers curés et prêtres venus des différentes paroisses du diocèse, et aussi l'abbé Claverie, supérieur du séminaire de Larressore. On trouve aussi, dernier de la liste, l'abbé Cestac, qui figure dans le registre comme « professeur de philosophie ».À vingt-huit ans, il était le plus jeune membre du synode ; signe de l'estime dans laquelle on le tenait. Au total, autour de l'évêque, il y avait 70 participants (chiffre symbolique qui fait référence aux 70 « disciples », dont parle l'évangile selon saint Luc).
Le synode se tint au séminaire de Larressore. Une grande partie des sessions fut occupée à la lecture des statuts qui avaient déjà été préparés. « Dans ces différentes séances, précise le procès-verbal du synode, les membres du synode ont fait, sur les statuts dont on leur donnait lecture, diverses observations. Mgr a fait droit à quelques-unes et a donné sur les autres des explications qui ont levé les difficultés proposées. » La première partie traite « Des devoirs des ecclésiastiques » : de la sainteté de vie exigée par l'état ecclésiastique ; de l'habit ecclésiastique et de la tonsure ; de l'habitation des ecclésiastiques ; des cabarets et autres lieux semblables ; de la chasse et du port d'armes ; des jeux publics et de hasard ; du soin des affaires temporelles, et des foires et marchés ;
(A suivre)
Cestac à sa sœur Elise : « Voyons maintenant ce que tu dois faire. Tu sais quels sont tes devoirs généraux et particuliers : la prière du matin et du soir, la messe quand tu le peux, la fuite du péché et des occasions du péché, la pratique des vertus de ton état : la douceur, la patience, l'humilité, même la mortification, la vigilance intérieure et extérieure pour ne rien laisser pénétrer qui puisse offenser Dieu : de plus, la fréquentation des sacrements de Pénitence et d'Eucharistie, selon l'avis de ton confesseur : voilà ce que tu as à faire. Il ne s'agit donc que d'accomplir fidèlement ces devoirs. Si quelquefois tu y manques, eh bien ! que faire ? T'humilier d'abord devant Dieu, et puis, avec sa sainte grâce, prendre de bonnes résolutions pour l'avenir. »
L'abbé Cestac incite sa sœur à la confiance : « Je suis ton frère, ton parrain, et je suis prêtre », et à la patience : « Le cœur ne se conduit pas à coups de bâton. [...] Peu à peu, si tu es fidèle, le chemin s'éclaircira, la grâce, pénétrant le cœur, aplanira les difficultés, et tu retrouveras dans la paix d'une bonne conscience une joie douce et tranquille que le monde ne connaît point. » Enfin, et c'est sans doute vrai pour tous les directeurs spirituels authentiques, les considérations spirituelles qu'il développe dans les lettres à sa sœur, il se les applique à lui-même. Il utilise autant le «nous » que le « tu ».
(A suivre)
Il serait faux de s'imaginer une Élise soumise instantanément aux conseils de son frère et engagée, comme instinctivement, sur le chemin de la sainteté.
À cette époque de sa vie, elle mène un véritable « combat » spirituel (c'est le terme qu'elle emploie). Après un an et demi de direction spirituelle par son frère, elle reconnaît, avec humilité, que les tentations sont encore grandes. Sortie d'une maladie, pendant laquelle elle a pris certaines résolutions, elle avoue : « Je commence à sentir que l'exécution en est pénible, à mesure que ma santé se rétablit. Le démon ne perd pas son temps. Il voudrait me persuader que j'ai encore longtemps à vivre, qu'il ne faut pas se détacher du monde, que je suis jeune, et qu'il peut m'offrir des jouissances ; voilà le langage qu'il me tient. Mais à Dieu ne plaise que je me laisse jamais séduire par ces illusions ! Cependant je n'y suis pas tout à fait insensible, et mon cœur se laisserait facilement entraîner. »
Les conseils que l'abbé Cestac donne à sa sœur sont pragmatiques. « Il me semble, écrit-il dans une autre lettre, que tout peut se réduire à ces trois points : 1° combattre tes défauts ; 2° acquérir les vertus qui te manquent ; 3° connaître et pratiquer les moyens qui conduisent à ce double but. »
(A suivre)
...On continue à glisser dans le mauvais chemin : adieu la piété, adieu la religion. On en conserve une espèce de fantôme qui, dans le fond, n'est qu'hypocrisie. Voilà, ma chère enfant, l'histoire d'une infinité de demoiselles dans le monde. Hélas ! Que cet état est malheureux ! (…) On cherche à se dissiper ; on cherche les bals, les sociétés, les endroits où il y a le plus de monde ; on veut s'étourdir, et malheureusement on n'y réussit souvent que trop.»
Après avoir passé en revue, dans cette lettre, « les écueils qui menacent une jeune personne dans le monde », (…) il adresse à Élise une autre longue lettre pour lui montrer « les vertus qui conviennent à ton âge et dans ta position ». Il lui explique que beaucoup de gens se font « une fausse idée de la sainteté » : « À entendre certaines gens, il faudrait, pour être saint, quitter tout, abandonner tout, s'enfoncer dans un désert, et là ne plus s'occuper que de prières, de mortifications.» La sainteté véritable, dit-il, consiste « dans l'accomplissement des devoirs que Dieu nous impose ».
Devoirs envers Dieu, devoirs envers le prochain - et d'abord envers ses parents -, et aussi « devoirs à remplir à l'égard de toi-même ».
Une des caractéristiques de cette direction spirituelle est son réalisme. L'abbé Cestac recommande ainsi à sa sœur : « Un Pater bien dit, du fond du cœur, vaut mieux que dix chapelets récités avec négligence et comme par manière d'acquit. »
(À suivre)
L’abbé Cestac à 26 ans fait preuve d'une connaissance subtile de la psychologie des jeunes filles. Nombre de ses observations sont d'une grande justesse. Il ne pointe pas les défauts, déficiences ou tentations de sa sœur pour lui en faire le reproche. Il lui écrit : « Le cœur de l'homme, particulièrement à ton âge et dans ton sexe, est extrêmement faible et inconstant. Une personne (…) pleine de bonnes résolutions, pourra, si elle n'y prend garde, changer en bien peu de temps, et se trouver bien loin de sa route. Elle sera pleine d'autres idées, par exemple, qu'il n'est pas nécessaire d'être si dévote ; qu'on n'est pas une religieuse, et que la vie serait bien triste si l'on ne pouvait s'égayer ; que d'ailleurs on n'a, Dieu merci, aucune mauvaise intention. De là, et sous ces prétextes, on se relâche, on ne se plaît plus autant à l'église ; il tarde que les vêpres soient finies pour aller se promener ; on les trouve bien longues. Le cœur se porte au-dehors, les prières sont tièdes, l'esprit se remplit de mille distractions ; on devient plus froide pour les sacrements ; on trouve que c'est bien assez de se confesser d'abord tous les deux ou trois mois, puis aux grandes fêtes. Alors on y va moitié par respect humain, par honte ; on voudrait que cette fête fût bien loin. Le coeur n'est plus comme autrefois ; on est toute changée. Mais en revanche on devient ardente pour la parure, pour les mondanités : il faut être propre, et sous ce prétexte on recherche ce qui peut le mieux nous flatter. Le miroir devient notre grand ami ; on n'est pas fâchée de plaire. »
(A suivre)
À partir d'avril 1827, Cestac devient le directeur spirituel de sa sœur Élise. Le mot n'est pas employé, mais il correspond bien à leurs relations à partir de cette date. Elles ont toujours été étroites et affectueuses, mais Élise - elle a 16 ans - s'est sans doute confiée à son frère (il est aussi son parrain) et lui a demandé de la soutenir et de la conseiller par ses lettres.
Le jeune professeur de philosophie accepte avec joie : « Je me contente de faire la classe ; le reste du temps je ne me livre qu'à un travail libre et fort modéré. Ainsi, ma chère Élise, me voilà à ton service ; tu auras des lettres en abondance. [...] À ton âge, tout est danger, mais aussi tout peut être mérite, si tu profites des occasions dans le sens des volontés de Dieu. Réfléchis un peu là-dessus ; je ne veux pas aujourd'hui te faire une longue morale ; j'attendrai ta lettre pour te parler au plus long. »
C'est un long dialogue, moral et spirituel, qui va s'engager entre le frère et la sœur. Une seule lettre d'Élise nous a été conservée. En revanche, les lettres de celui qui, souvent, signe « ton bon frère » sont nombreuses et longues. Comme on l'a fait remarquer, « il serait aisé d'extraire tout un traité de la perfection chrétienne à l'usage des jeunes personnes du monde. »
(A suivre)
Certains ont voulu faire de lui un janséniste rigoureux, hostile à la communion fréquente et partisan de l'absolution différée. Les études pour le Procès de béatification ont montré qu’il n'en était rien.
Devenu prêtre, confesseur à la cathédrale, ensuite dans la direction des Servantes de Marie, il se détachera de ce rigorisme dans lequel il a été formé. Il encouragera ses dirigées à la communion fréquente et même, dans les années 1860, à la communion quotidienne.
Diacre en juin 1825, à la rentrée suivante, il est toujours au Petit séminaire de Larressore. On lui confie l'enseignement de la philosophie, à la place des mathématiques. Au jugement de ses pairs et de ses supérieurs, il était bon professeur. Il dira : «C'était une pensée généralement reçue dans le Séminaire que j'étais fait pour l'enseignement et que je n'en sortirais jamais ; j'avais une répugnance instinctive, d'être curé de paroisse : cette position m'effrayait. Vicaire, missionnaire, bien ; mais curé, je ne pouvais pas en supporter la pensée. »
Deux mois plus tard, le 17 décembre 1825, il était ordonné prêtre, dans la chapelle du Grand Séminaire de Bayonne. Le jour de son ordination, il conclut une sorte de pacte avec Marie : « Très sainte Vierge, je vous offre avec mes mains, mon cœur, toute ma personne. » Le jour de Noël, il célébrait sa première messe dans la chapelle du Petit Séminaire de Larressore.
(A suivre)
A cette époque se situe un épisode marquant de sa vie...
À l'été 1824, Cestac décida de se confesser auprès du curé d'Ustaritz, à trois kilomètres de Larressore. Le jeune séminariste était fidèle à la confession hebdomadaire et n'avait sans doute pas de faute très grave à se reprocher. Pourtant, près d'un an, le curé d'Ustaritz, l'écoutera en confession, mais lui refusera l'absolution. Dans ses Notes manuscrites, Cestac dira combien cette épreuve lui fut pénible : « Le curé d'Ustaritz m'entendit en confession et me renvoya à la huitaine sans absolution. J'y revins, ce fut la même chose, et cela se répétant toujours, nous arrivâmes à la rentrée des classes ; et ne croyant pas devoir quitter ce bon prêtre parce qu'il se refusait à m'absoudre, je continuai fidèlement à me présenter tous les 8 jours et toujours avec le même résultat. »
Les grandes fêtes se suivirent (..même Pâques…) sans que le sous-diacre Cestac ne reçoive l'absolution et donc il ne pouvait pas communier. Le temps de l'ordination diaconale approchait. Le supérieur du séminaire, l'abbé Claverie, appela Cestac et lui dit de s’y préparer. Au jeune clerc qui s'inquiétait de n'avoir pas encore fait ses Pâques, le supérieur répliqua : « C'est égal, parlez-en à votre confesseur, et dites-lui que je vous appelle à l'ordination.» Ce qu’il fit. Sans plus d'explication, le prêtre l'écouta en confession et lui donna, enfin, l'absolution.
(A suivre)
L'abbé Cestac lui aussi, quoiqu'encore étudiant en théologie, exerça des fonctions à Larressore : économe, professeur de mathématiques et professeur de musique. On comprend pourquoi le jeune séminariste enseignera la musique. Il jouait admirablement du violon. Il donnait des cours, mais aussi jouait de son instrument pour la communauté lorsque le mauvais temps empêchait la promenade hebdomadaire. Les mathématiques étaient une autre de ses passions. Il avait un grand sens de la pédagogie.
Un de ses anciens élèves, qui deviendra curé d'Escos, se souviendra : « II s'assurait que tous les élèves l'avaient compris, et reprenait ses explications avec beaucoup de patience jusqu'à ce qu'il eût atteint ce résultat. »
Confier à un jeune homme de vingt-et-un ans l'économat d'un séminaire est plus audacieux. Le jeune Cestac s'acquitta de cette fonction pendant plusieurs années, même après son ordination sacerdotale. Même s'il dut affronter des difficultés dans la gestion des comptes du séminaire, cette expérience lui permit « d'acquérir pour la gestion des affaires matérielles, des connaissances spéciales, toutes pratiques sans lesquelles la direction de ses œuvres lui eût été sinon impossible, du moins bien difficile. »
Parallèlement, l'abbé Cestac poursuivait sa formation théologique. Le 28 juillet 1822, il recevait les quatre ordres mineurs à Bayonne, des mains de Mgr d'Astros. Et le 12 juin 1824, le même évêque l'ordonnait sous-diacre.
(A suivre)
Malheureusement, le jeune abbé Cestac ne put supporter la vie et le climat de Paris.
Les nombreuses et longues lettres adressées à ses parents permettent de suivre la succession des maladies et des ennuis de santé qui l'ont frappé : en décembre 1820, il fut, pendant huit jours, « pris de fièvre avec un grand mal de tête et des frissons » ; puis, suite à un coup de pied qu'on lui a envoyé par mégarde, il a eu à la jambe et au pied un abcès qui a nécessité, au bout de deux semaines, l'intervention d'un chirurgien.
Après quelques mois de répit, en septembre 1821, pendant les vacances (qu'il passe à Paris), sa faiblesse est telle qu'il écrit à ses parents : « Non seulement je me repose, mais il m'est défendu de travailler, de sorte que je ne fais rien ». Il commence une deuxième année à Saint-Sulpice, mais il ne la terminera pas.
Pour la Noël 1821, il rentre à Bayonne. Au début du mois janvier 1822, Cestac est envoyé au Petit Séminaire de Larressore, à treize kilomètres de Bayonne. Il y restera dix ans. L'établissement, fermé sous la Révolution, avait été rouvert par l'évêque de Bayonne. Cestac retrouva l'abbé Claverie (comme directeur)… il l’avait eu comme professeur à Aire et aussi Michel Garicoïts qui, tout en poursuivant ses études de théologie, était chargé de la « surveillance générale » de certaines classes.
(A suivre)
L'abbé Cestac noua à Saint-Sulpice des relations qui lui seront utiles plus tard.
Plusieurs de ses confrères au séminaire deviendront évêques : l'abbé Jerphanion, évêque d'Albi de 1843 à 1864 ; l'abbé Gignoux, évêque de Beauvais de 1842 à 1878.
Les années passées à Paris faciliteront les rapports lorsqu'il sera question d'établir des écoles des Servantes de Marie dans ces diocèses. Ses parents l'incitèrent, à plusieurs reprises, à rendre visite aux Montesquiou-Fezensac, qui avaient été des bienfaiteurs pour Dominique Cestac. Le jeune abbé Cestac se rendit à plusieurs reprises dans l'hôtel particulier de cette illustre famille. Il fit la connaissance de l'abbé François-Xavier de Montesquiou-Fézensac (1757-1832), ancien député du clergé de Paris aux États-Généraux, puis ministre de l'Intérieur et pair de France sous la Restauration. Ses fonctions politiques ne lui avaient pas fait oublier son état ecclésiastique.
Après sa visite, l'abbé Cestac écrira à ses parents : « Nous avons causé ensemble, près d'une heure, sur la théologie et sur l'Écriture sainte. Il paraît bien qu'il en fait son étude chaque jour. Il m'a fait de Saint-Sulpice des éloges extraordinaires. »
Quand le jeune abbé Cestac entendra dire que l'abbé de Montesquiou-Fézensac va être nommé cardinal - ce qui n'aura pas lieu - , il rapporte le bruit à ses parents sans y attacher d'importance, ni se réjouir de ce que cela pourrait lui apporter : « On dit ici que M. l'abbé va être nommé cardinal et grand aumônier de France. Cela vous fera peut-être beaucoup de plaisir ; pour moi, cela ne me touche qu'autant que l'Église y est intéressée. Tout cela n'est que vanité. »
(A suivre)
A partir de janvier 1821, Cestac suivit des cours de dogme et d'éloquence sacrée « à l'Université », c'est-à-dire à la faculté de théologie de la Sorbonne.
Saint-Sulpice fut important par la lecture qu'il y fit de différents grands maîtres spirituels qui l'ont profondément marqué. « Dès le commencement »dira-t-il, il a lu le maître livre de Boudon, Le Saint Esclavage de l'admirable Mère de Dieu. « Ouvrage si bon, si précieux » (dans ses Notes manuscrites) publié en 1668.
Boudon recommandait une pratique dévotionnelle particulière : porter une chaînette, bénie par un prêtre, pour bien manifester cet « esclavage à Marie » auquel on se vouait. Cette pratique donna lieu à des abus et fut condamnée par le Saint-Siège.
Aussi, sur la fin de sa vie, en recommandant Le Saint Esclavage de Marie aux Servantes de Marie, l'abbé Cestac avertira : « Cependant je dois vous dire que la pratique des chaînettes, dont il est parlé dans ce livre, n'a pas été approuvée par Rome ; c'est pour vous préserver de toute erreur que je vous fais cette observation. »
On retrouvera dans la vie spirituelle de Cestac bien des traits des enseignements de Boudon ou du P. Grou (celui-ci était jésuite) : rechercher la volonté de Dieu, considérer toutes choses d'un point de vue surnaturel, placer toute sa confiance en la Vierge Marie.
(A suivre)
Après avoir terminé son année de philosophie à Larressore, le jeune Cestac entre à l'automne 1819 au Grand Séminaire de Bayonne. Il y restera une année.
Un événement notable durant cette année : la fin de l'épiscopat de Mgr Loison. Il meurt le 17 février 1820. Lui succède Mgr d'Astros qui prend possession de son siège épiscopal le 12 août 1820. C'est lui qui, en octobre suivant, envoie le jeune Cestac poursuivre ses études théologiques à Paris.
Édouard Cestac, à cause de ses dons, fut choisi, avec un autre séminariste, Jean Etchelecu, originaire d'Aroue, de cinq ans son aîné. Les deux jeunes clercs entrèrent à Saint-Sulpice le 10 octobre 1820. Cestac allait rester quinze mois à Paris. Il a beaucoup appris à Saint-Sulpice, ce fut une étape importante de sa formation.
Le Séminaire Saint-Sulpice fermé sous la Révolution, avait rouvert de manière discrète en 1802. Par une ordonnance royale (avril 1816) la Compagnie de Saint-Sulpice sera officiellement rétablie. À Saint-Sulpice, le jeune Cestac et ses condisciples commencèrent l'année par une retraite de huit jours.
Comme dans beaucoup des séminaires, était en usage ce qu'on a appelé la « Théologie de Lyon », c'est-à-dire le traité de l'abbé Louis Bailly. Son manuel était empreint d'un grand rigorisme en matière morale et d'un gallicanisme affirmé en matière ecclésiologique. C'est cette dernière tendance qui fera mettre le livre à l'Index en 1852.
Cestac ne retiendra pas grand-chose du gallicanisme de Bailly et au contraire, se montrera un défenseur de l'autorité du Pape et des droits du Saint-Siège.
(A suivre)
Des brochures anonymes furent publiées prenant à partie les missionnaires.
Le Premier sermon du Père Guillaume, ermite de la Montagne de Larhune. L'auteur, un jeune homme de vingt-cinq ans, Louis-Adolphe Doulcet de Pontécoulant, qui avait servi dans les armées de Napoléon, avant de participer (1817) à la révolte de Pernambuco, au Brésil. Condamné à Bayonne il est acquitté par la cour d'appel de Pau.
Autre brochure anonyme, Union et oubli. Première lettre aux Missionnaires, qui sera suivie d'une 2e puis d'une 3e lettre. L'auteur : un notable de la ville, Charles Lannes, juge au tribunal de commerce.
Ces libellés faisaient des reproches aux missionnaires : de venir en diligence, de se faire servir leurs repas par un domestique, leurs sermons interminables et polémiques, les objets de pitié vendus lors des cérémonies, les fidèles obligés de louer les chaises pour être assis. Le jeune Cestac, informé par ses parents, les déplora.
Cette mission controversée provoqua néanmoins un réveil religieux dans la ville.
Dans une lettre pastorale, Mgr Loison se félicitait des fruits spirituels de la prédication des Missionnaires : « Nos églises suffisaient à peine au concours empressé qui suivait leurs exercices religieux, et les larmes des justes s'y mêlaient à celle des pécheurs attendris ; les tribunaux de la pénitence ouverts-nuit et jour au repentir, attestaient les suites heureuses des instructions qui l'avaient provoqué... Quel spectacle de voir plus de deux mille hommes à la fois admis au banquet sacré ! »
(A suivre)
Il était encore au séminaire d'Aire lorsqu'une mission fut donnée à Bayonne. Moyen utilisé, sous la Restauration, pour réveiller la foi et faire revenir à la pratique religieuse des populations en voie de déchristianisation (déjà !).
Bientôt une congrégation de Missionnaires diocésains sera créée à Hasparren par l'abbé Jean-Baptiste Garat-Pikasarri. Mgr Loison , le 3 mars 1819, déplorait la « licence des mœurs et un affaiblissement trop marqué des principes religieux ».
Il s'agissait, pendant plusieurs jours, de réveiller la foi des attiédis et de convertir les incrédules par des sermons et des cérémonies, notamment l'« Amende honorable » (qui se concluait par des confessions), le renouvellement des vœux du baptême, la consécration à la Vierge, la communion. Pour marquer la fin de la mission, et en perpétuer le souvenir, une croix de mission était érigée.
La mission de Bayonne s'ouvrit le 21 mars. Elle attira beaucoup de monde. Le jeune Cestac, informé par ses parents s'en réjouit : « Pauvre Bayonne ! elle en avait bien besoin, surtout à cause de la corruption de cette malheureuse jeunesse ; elle a été pervertie par les monstrueux systèmes des impies et des libertins. La religion seule aura le pouvoir de les ramener à la vertu, s'ils veulent écouter sa voix. Quel triomphe pour elle ! »
Mais cette mission, fut contestée par certains esprits libéraux ou anticléricaux.
(A suivre)
Il n'en a pas fait étalage, mais Cestac, au séminaire, suit un « règlement de vie » ; fixant l'heure de son lever, de son coucher, les prières à faire tout au long de la journée et les dispositions d'esprit à avoir dans la vie quotidienne.
Il écrit à sa sœur, en 1828 : « Il en coûte de plier sa volonté sous l'inflexible volonté d'une règle. À la vérité, les avantages en sont immenses, et je répondrais, sans hésitation, du salut d'une personne qui aurait vécu ainsi sous l'obéissance d'un bon règlement. Mais, je le répète, il en coûte surtout pour s'y habituer, et je t'assure qu'il faut du courage. »
On relève aussi chez ce « petit séminariste » une autorité spirituelle. En septembre et en octobre 1818, après ses vacances, il retourne au Séminaire d'Aire pour une année scolaire. C'est cette année-là qu'il retrouva Michel Garicoïts, élève, comme lui, de philosophie. Un de leurs condisciples, Larrose, futur curé d'Accous, a donné le témoignage suivant : « J'ai eu l'avantage de recevoir les bons exemples de mon condisciple M. Cestac. M. l'abbé Manaudas, notre préfet d'étude, (…) me plaça à l'étude et au réfectoire, au milieu de deux saints : feu l'abbé Garicoïts et feu l'abbé Cestac. Les deux étaient d'une pitié angélique. L'abbé Cestac aimait beaucoup la très sainte Vierge... Pendant son travail, les prières sortaient fréquemment de sa bouche …. ».
(A suivre)
En 1816 - il a quinze ans - M. Cestac interroge son fils : « Veux-tu te faire médecin, avocat, artiste ?» Devant ses dénégations, il ajoute : « Veux-tu être prêtre ?» Louis-Édouard acquiesce. À la rentrée scolaire de 1816, Louis-Édouard entra au Petit Séminaire d'Aire-sur-l'Adour, dans les Landes. Il y passe trois années, de novembre 1816 à août 1819. Garicoïts n'entre dans l'établissement qu'à la rentrée 1818.
Immanquablement la rentrée au Petit Séminaire était le 1er novembre pour n’en sortir que le 31 août. Il y avait classe tous les jours, sauf le dimanche, et deux promenades hebdomadaires. Le supérieur avait placé le jeune Cestac, en classe de rhétorique, ( notre première). Louis-Édouard n'avait pas le niveau, et au bout de deux mois, il passe en seconde. Il s'y passionne pour les mathématiques, sera premier en composition de français. Les appréciations générales sont élogieuses : « Religion : très bien. Application : soutenue. Progrès et force : bon en rhétorique ». Le soir, à la demande du supérieur, il joue du violon.
Il restera trois ans à Aire. C'est de cette époque que datent ses premières lettres conservées. Adressées à ses parents; Édouard s'y montre très affectueux aussi à l'égard de sa sœur. Leurs liens étroits conduiront Élise à s'intéresser à l'apostolat de son frère et à lui consacrer, elle aussi, sa vie.
(A suivre)
1815-1816, Louis-Édouard est élève à l'école Saint-Léon de Bayonne. Devenue plus tard le collège Saint-Louis de Gonzague.
Il y fait la connaissance de Michel Garicoïts, fondateur des prêtres de Bétharram (canonisé en 1947). Né à Ibarre, dans une famille pauvre du Pays Basque, Garicoïts, pour financer ses études, travaille comme valet de chambre à l'évêché. Un de ses condisciples, Arrambide, a raconté un incident resté célèbre : « Garicoïts était d'une application dévorante pour l'étude et demandait au professeur d'augmenter notre tâche. Ce qui mécontentait ses condisciples, et moi plus que tout autre. Aussi entrai-je sérieusement, hélas ! dans le complot qu'ils firent pour lui arracher la promesse de ne plus insister là-dessus. Nous l'attendîmes un jour dans le corridor (…). Lui, devinant le complot, retrousse les manches de sa lévite. Aussitôt ces braves lui ouvrent le passage ; il traverse le corridor entre les deux haies formées par les assaillants, qui, un peu confus de l'issue de l'affaire, se regardent et partent enfin d'un de ces éclats de rire si commun à cet âge ».
Cestac fut-il du « complot » ? L'histoire ne le dit pas. C'est peu probable, les deux jeunes gens ne fréquentant pas la même classe. Garicoïts était en troisième, Cestac, quoique plus jeune, en seconde. En tout cas, la longue histoire des relations entre les deux ne faisait que commencer. À plusieurs reprises, le jeune Cestac retrouvera son ami Garicoïts.
(A suivre)
Le 21 juillet 1808, Napoléon 1er quitte Bayonne.
Pourtant, la guérilla (le mot apparaît alors) contre les troupes d'occupation française va s'amplifier. A Bayonne, jusqu'en 1813, il y aura des passages incessants de troupes.
Après la lecture et l'écriture, apprises à la maison, Louis-Édouard rejoint M. Guiraud, qui tenait une petite école privée à Saint-Esprit. On traversait alors l'Adour par une grande passerelle en bois. Premières leçons de musique, dons brillants pour le violon, il sera passionné de musique au point de l'enseigner au séminaire.
1814, Wellington et l’armée anglaise sont devant Bayonne. Le siège dure de février à mai.
Avant le siège, Monsieur Cestac a envoyé les siens dans les Hautes-Pyrénées. Son épouse et ses deux filles dans sa famille à Sariac, Louis-Édouard, à sept kilomètres de là, chez un savant prêtre, l'abbé Dastugues. Auprès de lui, il apprend le latin. C'est lui qui le prépare à la première communion. L'âge convenable pour être admis à la première communion, est de douze ans environ pour les filles, et de treize ou quatorze ans pour les garçons.
Rentrée scolaire de 1814 : l'adolescent rejoint Tarbes. Il y poursuivit ses études pendant une année. Toute la famille se trouve à nouveau réunie pour le mariage de la fille aînée de la famille, Marianne, avec Joseph Vidales, un marchand peu fortuné. Le mariage eut lieu à Artagnan, dans les Hautes-Pyrénées, le 4 avril 1815.
(A suivre)
Les abords de la cathédrale, il habite rue Mayou(*), et surtout son grand cloître, alors sur la rue et à l'abandon, furent parmi ses terrains de jeux favoris.
L'enfance et l'adolescence de Cestac furent marquées par des épisodes de l'histoire napoléonienne.
En mai 1807, les troupes françaises en partance pour la péninsule ibérique passent par Bayonne. Napoléon 1er fait un long séjour dans la ville en 1808. Arrivé le 14 avril, « il est près de vingt-et-une heures quand il se présente sur les hauts de Saint-Étienne. Les acclamations de la foule, se répercutent jusqu'au fleuve : "Il arrive !" Les chevaux du carrosse sont dételés, c'est à bras d'homme que la voiture descend la rue Maubec, jonchée de rameaux de laurier et de buis. C’est Jeudi Saint, mais les cloches des églises se mettent à sonner. Les canons de la Citadelle, du Réduit, des allées Boufflers, du Château-Vieux, tirent des salves d'honneur. C'est dans un tohu-bohu assourdissant, au milieu d'une foule exaltée, que l'Empereur découvre Bayonne.
Il résidera près de cent jours, d’abord au Palais des gouver¬neurs, face au Château-Vieux, puis au château de Marracq.
(*) Rue Mayou ou Mayour (en gascon « rue grande » ou « rue principale »), appelée aujourd'hui rue d'Espagne. La maison familiale des Cestac n'existe plus, elle a été détruite au XIXe siècle et
remplacée par une maison qui porte désormais le n° 57.
(A suivre)
Louis-Edouard grandit harmonieusement. Sa mère et sa sœur aînée, lui apprennent à lire (pour cinq ans, semble t-il) avant d'aller à l'école. Il aimait une Vie des saints qui se trouvait chez lui. Impressionné par ces vies édifiantes, il aurait eu dès lors « le désir d'imiter les Saints ».
Son père lui donna une éducation sévère et rude « Il [Son père] le faisait coucher sans lumière. Il tenait à ce qu'il mangeât de tous les mets, lui faisait monter des chevaux difficiles, lui recommandait de ne prendre aucune habitude pour ne pas s'en rendre esclave plus tard. De ses voyages, son père ne lui apportait aucun cadeau : "Je veux que tu viennes au-devant de ton père et non pas au-devant des cadeaux".» Néanmoins, il ne faut pas en faire un enfant modèle, toujours sage, à l'écart des jeux et des turbulences de son âge. Un jour, alors qu'il joue avec des camarades sur les terre-pleins des remparts, il tombe dans le fossé, une douzaine de mètres plus bas. Il aurait pu se rompre les os. Par précaution, des témoins l'auraient simplement accompagné chez lui. Il fut sans doute étourdi pendant quelques instants. Il s'en tira avec un gros hématome à la cuisse qui dégénéra en abcès qu'il fallut soigner. Quand son père apprendra l'accident, il le ramènera sur les lieux pour lui expliquer le péril qu'il avait couru.
(A suivre)
Louis-Edouard a dix-huit mois, et une santé fragile. Sa sœur Élise présentera les mêmes symptômes : névralgies, privation de parole, pertes temporaires de la vue. Les médecins semblent impuissants à le guérir.
Un jour - Louis-Édouard a trois ans - Madame Cestac le prend et l’emmène au sanctuaire de Saint-Bernard, alors situé sur le chemin qui va de Saint-Esprit au Boucau, sur la rive droite de l'Adour. Y était murée une ancienne statue de la Vierge, sculptée en 1507. Portant l'Enfant Jésus dans les bras, elle est particulièrement invoquée pour la protection des enfants. Jusqu'à la Révolution, la statue se trouvait dans l'église d'une abbaye de cisterciennes. En 1791, les religieuses avaient été dispersées. Après la Révolution, les moniales cisterciennes ne reviennent pas au Boucau, mais le propriétaire de l'ancienne abbaye a conservé la statue de la Vierge miraculeuse. Il laissera les fidèles y venir en pèlerinage (actuellement elle est visible dans le chœur de l’Eglise St-Etienne).
Madame Cestac a sans doute au terme de ce « pèlerinage » présenté son enfant à la Vierge. « J'y fus guéri miraculeusement » dira l'abbé Cestac. Chaque année, dans la neuvaine de Saint Bernard, il ira témoigner, et aussi à ce grand saint, sa reconnaissance. » En souvenir, l'abbé Cestac donnera le nom de Bernardines aux « repenties » menant une vie de prière et de travail dans le silence et la solitude.
(A suivre)
À Bayonne, l'Église avait souffert sous la Révolution.
Églises fermées, le 10 frimaire de l'an II (30 novembre 1793), « Fête de la Raison » (but d'effacer les superstitions chrétiennes) à la cathédrale de Bayonne, comme bien d'autres en France. Celle-ci ne sera rendue au culte catholique qu'en décembre 1800 et ne retrouvera un évêque que deux ans plus tard.
Louis-Édouard fut baptisé le jour de sa naissance, fête de l'Épiphanie. Il fut donc un des premiers baptisés de la cathédrale rouverte.
C'est l'année de sa naissance aussi que fut signé le Concordat qui rétablissait la paix entre l'Église et l'État après une décennie de troubles et de persécutions. Le diocèse de Bayonne qui fut alors constitué couvrait trois départements (Basses-Pyrénées, Landes et Hautes-Pyrénées) et correspondait à six évêchés de l'Ancien Régime (Bayonne, Dax, Pau, Tarbes, Lescar et Oloron).
Mgr Loison fut le premier évêque de Bayonne nommé après le Concordat. Il prit possession de son siège épiscopal à la Noël 1802.
Le petit Louis-Édouard fut rapidement, selon la coutume de l'époque, placé en nourrice chez des paysans du Pays Basque. Il y resta dix-huit mois. Il a été bercé par les chants basques et plus tard, il cultivera les premières notions acquises à la campagne au point de comprendre et parler le basque, comme il parlera la langue gasconne dont son père était familier. Sans oublier l'espagnol appris auprès de sa mère.
(A suivre)
Dominique Cestac (père d'Édouard) était né en 1761 à Sariac, en Bigorre, dans une famille d'agriculteurs. Le toit paternel lui pesant, il partit très jeune, « avant d'avoir fait sa première Communion. »
Dominique Cestac s'engage comme mousse sur les bateaux. Un jour, le navire sur lequel il était, menaçait de couler. Il fit vœu, s'il réchappait , d'aller en pèlerinage à Notre-Dame de Garaison, à une quinzaine de Km de Sariac. Le bateau ne coula pas, mais fit naufrage près des Açores. Le rescapé fit le pèlerinage promis, et son fils, plus tard, le renouvellera.
Dominique se tourna vers la médecine militaire. Il commence à étudier la médecine et la chirurgie. D'abord à Sariac, auprès d'un ancien chirurgien des armées du Roi, Abadie, puis auprès des chirurgiens-majors de Bayonne. Il avait vingt ans. Il aurait ensuite poursuivi ses études à Paris. 11 août 1784, il obtient un brevet de « chirurgien de mer ».
Plusieurs années après, il arrive à Bayonne, comme « chirurgien de la ville et des prisons ». À 34 ans, il épouse Jeanne Amitessarobe. Elle a vingt ans.
Les Amitessarobe, basques d'origine espagnole, sont établis depuis quatre générations. Vers 1730, un Amitessarobe - le grand-père de Jeanne - figure sur la liste des chocolatiers de la ville. Établis au 45 de la rue d’Espagne, un an après (1796) nait Marie-Alexis-Anne, puis, Louis-Édouard (1801) et Marie-Louise-Élise (1811) appelée Élise, et future collaboratrice de son frère.
(A suivre)
1801 : Louis-Édouard Cestac nait à Bayonne.
La ville compte alors environ 13 000 habitants. Aux confins des Landes et du Pays Basque, au confluent de la Nive et l'Adour. Bayonne que l’étymologie du nom fait remonter au basque « ibaiona » ou « bonne rivière ».
Début du XIXe, Bayonne est à la fois une ville de garnison et une ville de commerce. À différents moments de son histoire, elle doit son développement aux fortifications qui la protégeaient.
Fin du XVe siècle, après trois siècles d'occupation anglaise, « Château Vieux » (qui existe encore) est construit. Vauban, à partir de 1680, entoure la ville de fortifications et en fait une ville de garnison. En même temps, Bayonne devient « un port fameux et de grand trafic ».
1666 : Colbert fonde, sur la rive droite de l'Adour, l'Arsenal du Roi qui construit des bâtiments de guerre.
1726, une Chambre de commerce est établie pour les échanges.
1784, une franchise est accordée aux marchandises étrangères. L'Espagne est alors le partenaire principal du port de Bayonne. 90 % des marchandises partent de Bayonne par bateau en Espagne. 70 % des marchandises viennent de ce même pays.
Bayonne aura été, un des principaux ports d'entrée du cacao en France, d'où la tradition chocolatière de Bayonne aujourd'hui.
(A suivre)
Des femmes se sont dévouées à ses côtés et ont contribué à son œuvre. Il y en a quatre.
Toutes ont des surnoms : « La Bonne Mère », la première laïque qui a aidé Cestac aux premiers temps (on ignore son nom). Gracieuse Bodin, la première dirigée spirituelle de l'abbé Cestac, âgée d'à peine vingt ans. Elle s'occupa des Repenties, et devenue Sœur Marie-François de Paule, sera appelée « la Mère Noire » (surnom donné, sans doute, à cause de son habit et de son teint brun). « Mère noire, âme blanche et combien généreuse ! » disait Cestac. Élise, la sœur de l'abbé Cestac, qui l'aida dès les débuts puis devenue Sœur Marie-Madeleine. Elle sera la première supérieure des Servantes de Marie et restera, pour tous, « la Mère Vénérée » ; enfin, Marie Supervielle, entrée chez les Servantes de Marie en 1840 sous le nom de Sœur Marie-François de Sales. Surnommée « la Bonne Sœur », par ses initiatives pratiques (création d'une basse-cour, d'une boulangerie, d'ateliers de couture, de broderie, etc.), elle a beaucoup contribué à fournir à l'œuvre les moyens de vivre.
En racontant la vie d'un prêtre, qui a fondé une congrégation féminine, il n'est que justice de ne pas les oublier.
(A suivre)
Bayonne a honoré le cardinal Lavigerie (1825-1892), en lui érigeant une grande statue, sur la Place du Réduit, au confluent de l'Adour et de la Nive. Fondateur des Pères Blancs, il a suscité la reconnaissance des autorités politiques de son temps. Même Gambetta, le premier pour la séparation de l'Église et de l'État, a salué en termes élogieux, du haut de la tribune de l'Assemblée nationale, le grand missionnaire : « [...] le cardinal et ses missionnaires rendent en Tunisie plus de services qu'un corps d'armée ».
L'abbé Cestac, natif lui aussi de Bayonne, contemporain de Lavigerie, et qui fut en relations avec lui, n'a pas eu les mêmes honneurs.
Dans la ville, seul un chemin, le long du cimetière, porte son nom. Pourtant, l'abbé Cestac n'appartient pas seulement à l'histoire de l'Église, il appartient aussi à l'histoire de Bayonne. Il appartient à l'histoire sociale, par ses fondations en faveur des orphelines et des prostituées et par son œuvre d'éducation.
Il fut l'ami, dès le séminaire, de Saint Michel Garicoïts, l'autre grand fondateur basque de cette époque.
Dans la spiritualité, l'abbé Cestac reste un prêtre animé d'une confiance absolue en la Vierge Marie et comme le fondateur des Servantes de Marie et de sa branche contemplative, les Bernardines.
(A suivre)